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Pourquoi faire des conférences ? Contre une observation aussi légitime, il n’y avait évidemment rien à dire : la Bulgarie peut bien s’attribuer en fait, mais non pas se faire reconnaître en droit, un rôle particulier dans les Balkans : elle est exactement sur le même pied que les autres nationalités chrétiennes. Si une d’elles pouvait afficher une prétention plus élevée, qu’elle aurait d’ailleurs beaucoup de peine à imposer, ce serait la Grèce, comme étant la plus ancienne. Les diverses populations, les petits royaumes et principautés balkaniques se détestent si cordialement et sont divisés par des rivalités si ardentes, que le contrôle deviendrait nul s’ils étaient appelés à l’exercer en commun : la Porte reprendrait tous ses avantages. Et, s’ils étaient appelés à participer au contrôle des grandes puissances, ce contrôle ne gagnerait rien ni en autorité morale, ni en force réelle. La question se ramène donc à savoir s’il se fera à deux ou à six, c’est-à-dire par les consuls de l’Autriche et de la Russie, ou par ceux de toutes les puissances. Tout compte fait, il y a lieu de pencher vers la dernière solution.

Mais que sera le futur gouverneur de la Macédoine ? Le gouvernement anglais a émis l’avis qu’il devrait être chrétien, ce qui semble à première vue tout naturel, puisque la grande majorité de la population est chrétienne, bien qu’elle appartienne à des églises différentes. Toutefois la souveraineté continuera d’appartenir à la Porte, et dans un pays où les questions religieuses et politiques sont si étroitement liées qu’elles se confondent, il n’est pas sans inconvénient de décider que le gouverneur sera toujours et dès aujourd’hui chrétien, si l’on veut y maintenir l’autorité du sultan. On cite l’exemple d’autres parties de l’Empire où il y a des gouverneurs chrétiens, et où ce système fonctionne bien, par exemple à Samos et en Crète. Mais Samos et la Crète sont des îles, et de plus, en ce qui concerne la dernière, la nomination comme gouverneur d’un fils du roi de Grèce a une signification sur laquelle personne ne se méprend. Il est clair qu’un jour ou l’autre la Crète fera retour à la Grèce. A qui ferait retour la Macédoine ? Nous avons dit souvent que la guerre seule pourrait en décider, et ce serait rendre cette guerre presque certaine à bref délai que de détacher en quelque sorte cette province de l’Empire turc en lui donnant un gouverneur de religion et de race chrétienne. On cite les exemples qui ont plus ou moins réussi, mais on oublie volontiers les autres, et ceux-là mêmes qui s’appliquent le mieux à la situation. A-t-on oublié la création artificielle que le traité de Berlin avait faite d’une Roumélie orientale ? Le traité avait décidé que la Roumélie aurait un gouverneur chrétien qui, nommé par le sultan, était