fallait empêcher. Comment ? Le mieux peut-être, si on l’avait pu, aurait été de maintenir le statu quo qui existait alors. Le gouvernement beylical nous gênait peu sur notre frontière orientale : il était faible et ne pouvait rien contre nous, sinon peut-être nous causer quelques embarras de frontière, comme le gouvernement marocain à l’ouest : encore ces embarras étaient-ils moindres. Nous aurions pu accepter le maintien de cet état de choses pour une période indéterminée. Les devoirs que nous imposait et les droits que nous conférait notre situation politique et géographique auraient sans doute pu se concilier avec les intérêts de l’Italie. Mais l’Europe était alors dominée par le génie puissant de M. de Bismarck, et l’illustre chancelier se proposait pour but tout autre chose que la bonne entente entre la France et l’Italie. On était au lendemain du traité de Berlin. Le prince de Bismarck sentait la Russie lui échapper, assurément par sa faute. Le système d’alliances qu’il avait imaginé pour s’assurer la tranquille possession de ses conquêtes menaçait ruine. Il fallait lui en substituer un autre, et quel autre était possible sinon la triple alliance qu’il a réalisée depuis ? L’Italie était appelée à en faire partie intégrante. Pour cela que fallait-il ? La brouiller avec la France. La pomme de discorde était toute trouvée, c’était la Tunisie.
On se souvient de ce qui s’était passé à Berlin, pendant le Congrès de 1878, au sujet de la Tunisie. L’émotion avait été très vive le jour où s’était répandue la nouvelle que l’Angleterre, sous une forme et des conditions devenues depuis et qui paraissaient même alors sans intérêt, s’était fait adjuger l’ile de Chypre par la Porte. La France, grande puissance méditerranéenne, ne pouvait pas voir avec indifférence l’équilibre changé aussi gravement dans une mer où elle occupait une place et jouait un rôle importans. L’Angleterre elle-même s’en était rendu compte, et il était résulté des conversations qui eurent lieu à ce moment entre ses représentans et les nôtres la promesse de sa part de se désintéresser de ce que nous croirions avoir à faire, un jour ou l’autre, dans la Régence de Tunis.
Le prince de Bismarck a connu ces arrangemens et les a approuvés : il y voyait le moyen qu’il cherchait de nous mettre mal avec l’Italie. Mais nous n’étions pas nous-mêmes sans apercevoir cette conséquence de notre intervention dans la Régence. Après avoir pris la précaution de nous assurer pleine liberté à l’égard de l’Angleterre pour une éventualité dont la réalisation restait incertaine au moins dans sa date, nous n’éprouvions effectivement aucune hâte à la poursuivre. Rien ne nous pressait : beaucoup d’années auraient pu s’écouler encore