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apparaissaient à tous les esprits sensés. Enfin, nous avons eu à Rome, de même que le gouvernement italien a eu à Paris, un ambassadeur parfaitement approprié à la tâche qu’il s’agissait de remplir. Nous ne saurions oublier, ni M. le comte Tornielli, ni M. Barrère, au moment où la politique dont ils ont été les ouvriers intelligens, actifs et habiles arrive en quelque sorte à son épanouissement.

Le rapprochement semble aujourd’hui facile, parce qu’on le sent naturel, et parce que, le jour où il se réalise, on ne voit plus les obstacles qui s’y sont longtemps opposés. Ces obstacles étaient beaucoup plus dans les hommes que dans les choses, et n’en étaient pas moins puissans. On peut transiger, on peut se mettre d’accord sur les choses ; leur opposition est rarement assez irréductible pour qu’on n’arrive pas à trouver un biais qui permette de les concilier. Mais, quand le mal est dans les hommes mêmes, dans leur parti-pris, dans leur imagination ou leur amour-propre, il est beaucoup plus redoutable et tenace. Il faut alors aller le vaincre dans sa forteresse la plus inaccessible. Nous avons été condamnés à le faire, et nous en sommes finalement venus à bout. A l’heure où nous sommes, les nuages sont assez complètement dissipés pour qu’il n’y ait aucun inconvénient à rechercher comment ils s’étaient formés. Pourquoi, forts du présent et sûrs de l’avenir, ne jetterions-nous pas un coup d’œil sur le passé ?

L’Italie avait cru, on était arrivé à lui faire croire que nous étions les adversaires résolus de toute expansion coloniale de sa part, soit dans la Méditerranée, soit dans la Mer-Rouge, soit même ailleurs. On nous attribuait contre elle des sentimens de jalousie et de malveillance qui nous étaient fort étrangers. Nous n’avions en réalité aucune mauvaise intention de ce genre, et nous aurions vu sans la moindre inquiétude l’Italie porter son effort civilisateur sur un point quelconque de l’univers, sauf un, qui était la Tunisie. Aujourd’hui que vingt ans et plus se sont écoulés et que les passions si vivement excitées à cette époque se sont apaisées, nous faisons appel à l’esprit d’équité des Italiens. Qu’ils jettent les yeux sur une carte du Nord de l’Afrique, et ils reconnaîtront tout de suite qu’il n’y a pas de frontière naturelle entre l’Algérie et la Tunisie. Entre l’une et l’autre les voies sont ouvertes, et il est presque impossible de les fermer. Une nation maîtresse de l’Algérie ne pouvait donc pas admettre qu’une autre, quelle que fût cette autre, vînt s’installer dans la Régence ; la situation entre les deux voisines aurait été pleine d’insécurité ; un jour ou l’autre, elle aurait inévitablement abouti à un conflit, et c’est ce qu’il