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raison de ces résistances : une formule, une loi, se découvrira qui, mieux que l’hypothèse de Frédéric Myers, englobera les étranges phénomènes observés par la Société des Recherches Psychiques ; après quoi les prodiges des « fantômes des morts » cesseront sans doute de nous étonner. Mais alors, d’autres prodiges surgiront, qui défieront à leur tour le zèle de notre science. Et d’ailleurs j’imagine que cette loi elle-même, pour peu qu’elle se pique d’être vraiment décisive, ne pourra manquer de confirmer les deux impressions principales qui se dégagent, pour tout lecteur désintéressé, de l’énorme amas de faits rassemblés et décrits par l’écrivain anglais.

La première de ces impressions est une connaissance plus intime et plus immédiate de l’impénétrable mystère dont nous sommes entourés. Non pas certes que nous ayons besoin, pour constater l’existence de ce mystère, de voir se dresser devant nous les spectres des morts : les phases les plus normales de la vie de l’esprit, celles qui sont l’objet des premiers chapitres du livre de Myers, la mémoire, le sommeil, le génie, — et l’esprit lui-même, — tout cela est au fond si profondément mystérieux qu’il n’y a personne qui parfois, à y songer, n’ait frémi d’épouvante. Mais à tout cela nous évitons de songer, nous laissant emporter au courant des choses ; tandis que des phénomènes exceptionnels, comme ceux que nous trouvons racontés dans le livre de Myers, nous obligent à secouer un instant notre somnolence, à reprendre contact avec l’universel inconnu, à nous rappeler que ce que nous savons et ce que nous sommes n’est rien qu’une pauvre petite barque sans voile, qui flotte, au hasard dans la nuit, sur un immense océan ignoré. Un prédicateur américain, bon père de famille, citoyen estimé, travaille depuis cinquante ans au perfectionnement d’un moi de la possession duquel il se croit aussi assuré que de celle de sa maison et de ses titres de rente : mais, tout à coup, un moi nouveau se substitue, chez lui, à celui-là ; le prédicateur se retrouve installé dans une autre ville, à l’autre extrémité des États-Unis, avec un autre nom, s’occupant d’un autre métier ; et de nouveau, tout à coup, plusieurs années après, il s’éveille du rêve de son second moi. Ou bien c’est une jeune paysanne, qui, pendant que, dans une ville lointaine, on assassine son père, voit ce père entrer dans sa chambre, lui désigner une cachette où, effectivement, quelques heures avant de mourir, il a mis son argent. Ou bien encore c’est une dame qui, arrivant dans une chambre d’auberge, y aperçoit un vieillard en perruque, et vêtu d’un habit à l’ancienne mode : elle raonte sa vision à des amis qui habitent la petite ville (où elle vient