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restons libres d’imaginer que la communication attribuée aux esprits ne vient en réalité que des médiums eux-mêmes, à la condition toutefois de supposer, chez ceux-ci, une sorte d’hyperesthésie les douant de facultés anormales de mémoire, de vision à distance, de pénétration jusqu’au plus secret des pensées et des sentimens d’autrui. Et si vraiment certaines de ces communications ne pouvaient venir que d’esprits d’un autre monde, la seule explication scientifique un peu raisonnable qu’on en pourrait concevoir serait, non pas celle d’âmes désincarnées poursuivant leur évolution, mais celle d’esprits diaboliques, stupides et malfaisans, se divertissant à la fois à intriguer et à mystifier la curiosité des braves gens qui les interrogent, car rien n’égale la sottise de tous les messages rapportés par Myers, leur manque absolu de toute beauté intellectuelle ou morale, à moins que ce ne soit leur incohérence et leur contradiction. Et quant à la théorie du moi subliminal, en vain l’écrivain anglais s’efforce de lui donner l’aspect d’une doctrine positive, rigoureusement induite de faits d’observation : du début à la fin, elle demeure aussi incompréhensible pour nous que le serait, par exemple, une théorie fondée sur la non-existence de l’espace ou du temps. Ce moi spirituel, qui non seulement vit en nous sans que nous le connaissions, mais qui est encore une véritable personne, un être un et homogène, l’élément principal de tout notre moi : c’est là une entité que je ne crois pas qu’aucun esprit un peu réfléchi puisse prendre au sérieux. Possible, l’existence de ce moi l’est assurément : mais qu’avons-nous à faire de la possibilité d’une chose que nous sommes hors d’état de connaître ni de comprendre ? Comment veut-on que nous mettions assez de confiance dans la réalité d’un tel moi pour faire reposer entièrement sur elle notre espoir d’une vie au-delà du tombeau ? Et que nous importe, en fin de compte, l’immortalité d’une âme que nous ignorons, qui vit et opère en nous à notre insu, qui, quelques services qu’elle puisse nous rendre, ne saurait vraiment avoir aucun droit à nous intéresser ?


Le pauvre Myers a perdu sa vie à bâtir sur un nuage : et, de tout le beau monument qu’il y a édifié, je crains bien que pas une pierre ne reste debout. Mais, comme je l’ai dit, les ruines de ce monument ne remplissent qu’une partie de son livre. De chapitre en chapitre, au-dessous de sa théorie du moi subliminal et de la vie météthérique des âmes désincarnées, il a tenu à mettre sous nos yeux quelques-uns des faits dont l’observation l’avait conduit à cette théorie : nous offrant ainsi, comme en marge, un répertoire immense de phénomènes