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traité général de la nature et des modes divers de la personne humaine. Il est mort à la tâche, il y a un an environ ; mais son œuvre était à peu près achevée ; et tout porte à croire que, s’il avait pu s’occuper lui-même de sa publication, elle serait restée sensiblement pareille à ce qu’elle est sous sa forme présente, aussi vaste, aussi lourde, aussi difficile à lire, avec un extraordinaire mélange de sagesse et de folie, de rigueur scientifique et de divagation, de la noble fantaisie d’un poète et de la présomption puérile d’un demi-savant.

Ce qu’est ce livre, de quelle façon il est conçu et composé, j’essaierai tout à l’heure de l’indiquer brièvement. Mais, d’abord, j’imagine que le lecteur français sera curieux de savoir si, bon ou mauvais, indépendamment de sa valeur littéraire ou philosophique, le livre de Myers a vraiment réussi à prouver « la survivance de la personnalité humaine à la mort corporelle. » Hélas ! non, je dois l’affirmer tout de suite, il n’y a pas réussi ! Il n’y a pas réussi, du moins, directement ; et je ne crois pas qu’il se trouve un seul lecteur qui, ayant approfondi ses 1 400 pages, en emporte cette impression de certitude que l’auteur avait évidemment l’espoir de nous communiquer. Je dirai plus : depuis le début même de son argumentation, Myers me fait l’effet d’opérer dans l’absurde. Ce ne sont point seulement ses théories sur la vie de l’âme après la mort que je me sens, pour ma part, tout à fait hors d’état d’admettre, ou, plus exactement, de comprendre : je ne parviens pas non plus à comprendre ses théories sur les modes les plus habituels de la vie mentale, sur la mémoire, l’imagination, sur le génie, sur le sommeil et les rêves. De page en page, à le suivre, il me semble entendre un homme fort intelligent, souvent fort éloquent, et en possession d’un admirable appareil de dialectique, mais qui, avec tout cela, ne cesse point d’assembler des formules vides, et m’offre pour certaines des propositions où je ne découvre aucun sens. Et cependant, d’autre part, son livre pourrait bien être l’un des documens les plus significatifs et les plus probans qu’on ait produits depuis de longues années en faveur de la possibilité de cette survivance de l’âme, dont il échoue à nous démontrer la réalité. Il n’y a personne, je crois, qui, ayant lu cet énorme livre, en emporte la certitude que l’âme survit au corps de la façon et dans les conditions affirmées par Frédéric Myers : mais il n’y a personne non plus qui n’en emporte l’impression que tous les argumens des adversaires de l’immortalité de l’âme reposent sur une notion incomplète et inexacte des faits, et que, s’il nous est à présent impossible de connaître, par