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enseignement doit donc être adapté à un régime démocratique. D’autre part, les sciences ont pris dans l’époque moderne un développement inouï, et elles n’ont pas seulement changé la conception que nous nous faisions du monde, mais, par leurs innombrables applications industrielles, elles sont devenues un des élémens les plus considérables de notre vie quotidienne. Nous avons chaque jour davantage besoin de chimistes et d’ingénieurs, d’industriels et de commerçans, Qu’avons-nous à faire d’hellénistes ? Science et démocratie sont deux termes inséparables, et, cet aphorisme étant tenu pour axiome, il s’ensuit que l’enseignement dans une démocratie doit être scientifique. De là ce mépris qu’il est d’usage aujourd’hui d’affecter, même entre lettrés, pour la littérature. De là cette énergie avec laquelle on s’engage à n’enseigner-la littérature que de la façon la moins littéraire possible. De là ce dédain, — où l’on ne saura jamais pour quelle part entre l’envie, — à l’endroit de ce qu’on appelle la virtuosité et qui n’est que le talent : une démocratie n’a pas besoin d’hommes de talent…

Il y a dans cette façon de raisonner d’étranges confusions de mots. Il est bon d’écarter d’abord tout ce qui ne sert qu’à encombrer la discussion et masquer la question véritable. Nous aimons la démocratie, mais nous aimons encore plus la vérité. Avouons-le donc, ce n’est pas par sa nature qu’un enseignement échappe à la masse ou lui est accessible, c’est par son degré. Et M. Croiset en fait excellemment la remarque : tout enseignement, même fondé sur l’histoire ou sur les sciences, dès qu’il est poussé un peu loin, devient aristocratique. Il ne s’agit pas davantage de savoir si le lycée formera des jeunes gens munis de toutes les connaissances positives qu’exige la pratique des diverses professions ; car ce n’est pas pour cela que le lycée a été institué. L’objet propre de l’éducation au lycée est de donner à l’esprit une culture générale. Donnera-t-on cette culture générale par le moyen des sciences ou par le moyen des lettres ? tel est, réduit à ses données essentielles, le problème de l’enseignement secondaire.

Or, que les sciences, dans la mesure où on peut les enseigner au lycée, aient, en vue de cette culture générale, une suffisante valeur éducative, c’est ce que les hommes de science n’accordent pas. « La science telle que nous la concevons, écrit M. Hadamard, vient à peine de se former. Ses méthodes, ses résultats, son rôle philosophique, son rôle social sont autant de conquêtes nouvelles de l’humanité ; nouvelle aussi son entrée dans l’enseignement. » Ce n’est pas dans la période où, nouvelles encore, elles se cherchent et s’essaient que les connaissances ont une valeur d’éducation. D’ailleurs, c’est M. Homais