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peu capables d’apprécier l’ensemble d’un ouvrage étendu, tandis que les anecdotes, les récits, les développemens limités dont ces ouvrages fourmillent, seraient pour leur esprit et pour leur cœur la nourriture la plus substantielle à la fois et la plus savoureuse. »

Parmi les exercices scolaires, celui qui, pendant longtemps, avait occupé le sommet de la hiérarchie et qui était considéré comme le plus bel effort d’un élève bien doué, c’était le discours. C’est aussi celui sur lequel on a daubé avec le plus de verve. Voyez-vous ce rhétoricien en train de composer le discours d’Annibal à ses troupes, de Henri IV à ses gentilshommes, de Louis XIV au Parlement ! Au lieu de ces chefs-d’œuvre oratoires, ne vaudrait-il pas mieux lui faire écrire quelques pages simples et saines sur un sujet de littérature ? La dissertation devait être infiniment préférable au discours : elle enseignerait à lier des idées, au lieu d’agencer uniquement des mots. On s’aperçoit aujourd’hui que ce genre de dissertations littéraires suppose chez l’élève des connaissances qu’il ne peut avoir, dépasse la portée de son raisonnement, et ne peut donc servir, la plupart du temps, qu’à lui faire contracter de très mauvaises habitudes d’esprit. C’est M. Lanson qui le déclare : « Nous avons à peu près lâché le discours politique et historique, et nos élèves ne courent plus guère après les habiletés oratoires ni les convenances dramatiques. Sous forme de discours et de dissertations, c’est l’histoire littéraire et la critique littéraire qui règnent dans la composition française : l’histoire littéraire, c’est-à-dire parler de ce que l’on ne sait pas, sans avoir lu les textes, sur la foi d’un manuel ; la critique littéraire, c’est-à-dire parler de ce qu’on n’atteint pas, de ce qu’on ne comprend pas, sur des autorités. Verbalisme creux, démarquage et plagiat, insincérité et abdication du sens propre, ou au contraire étourderie audacieuse à affirmer son savoir : voilà les résultats, je ne dis pas généraux, mais trop fréquens, de l’exercice que nous pratiquons. » Un autre point auquel on revenait avec insistance, c’était la nécessité d’enseigner abondamment dans les classes l’histoire de notre littérature. Comment admettre qu’un jeune Français ayant terminé ses classes fût moins instruit de la suite et du développement de notre génie littéraire que tel élève de gymnase allemand ou d’université anglaise ? Il fut décidé que cette matière figurerait au programme, et notre jeunesse cessa d’ignorer les caractères de la poésie lyrique au moyen âge et les sources du Roman de Renart. Elle se mit en devoir d’emmagasiner des dates, des titres d’ouvrages, des jugemens qu’elle n’avait ni le moyen, ni, au surplus, le désir de contrôler. On s’aperçoit aujourd’hui que l’histoire littéraire