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Un des professeurs du gymnase ayant plaisanté inconsidérément la Selecta dans une feuille publique, Arthur crut devoir venger ses camarades dans une épigramme très mordante, qui circula de main en main. Il dut quitter l’établissement. Mais tout d’abord il reçut une vive semonce de sa mère. « Si tu pouvais seulement finir par comprendre, lui disait-elle, ce que tu cries par-dessus les toits ! Tu répètes à tort et à travers la sentence de Goethe : « Tenez donc les fous pour des fous, comme cela doit être[1]. » Mais est-ce les tenir pour ce qu’ils sont que de vouloir les corriger ? C’est, au contraire, se mettre à leur niveau. La sagesse consiste à les abandonner à eux-mêmes, à profiter de leur folie ou à s’en divertir à l’occasion, surtout à ne pas les heurter, de peur de faire du simple fou un fou furieux ; et c’est ce que Goethe a voulu dire. Tu n’es pas méchant ; tu as de l’esprit, de la culture, tout ce qui pourrait faire de toi un ornement de la société ; je connais ton cœur, il n’en est pas de meilleur ; et, avec cela, tu es à charge et insupportable, et j’estime qu’il est très difficile de vivre avec toi. Toutes tes bonnes qualités sont gâtées et obscurcies par ta suprasagesse, par la fureur qui te possède de vouloir tout savoir mieux que tout le monde, de voir partout des défauts, excepté en toi-même, de prétendre tout corriger et gouverner. Tu aigris ainsi les hommes contre toi. Personne ne veut se laisser corriger et éclairer si violemment, surtout par un individu aussi peu important que tu l’es encore… Je te dis cela, non pour te faire des reproches, mais pour essayer une fois de te montrer à tes propres yeux tel que le monde te voit, tel que moi, ta mère, qui t’ai donné tant de preuves de mon affection, je suis obligée de te voir. Maintenant, c’est à toi de conclure. »

Elle lui laissait le choix ou de continuer ses études à Altenbourg, ou de prendre des leçons particulières à Weimar : cette ville possédait bien un gymnase, mais trop peu important pour donner un enseignement complet. Arthur se décida pour Weimar ; sa mère aurait préféré l’autre solution.

Johanna sentait qu’avec la différence de leurs natures, ils ne

  1. « C’est folie d’espérer que les fous se corrigeront. Enfans de la Sagesse, tenez donc les fous pour des fous, comme cela doit être. » Tel est le refrain d’une chanson cophte qui se trouve parmi les Lieder de Gœthe ; cette chanson devait figurer dans la pièce intitulée le Grand Cophte, dont Goethe voulait d’abord faire un opéra.