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pris conseil de son ami Fernow, qui pouvait d’autant mieux l’éclairer qu’il s’était trouvé dans une situation semblable à celle du jeune Schopenhauer. Fils d’un paysan de la marche de Brandebourg, Fernow avait déjà été clerc de notaire et apprenti pharmacien, lorsqu’il connut à Lubeck, à l’âge de vingt-trois ans, le peintre Carstens, qui le tourna vers les études artistiques, et avec lequel il vécut plusieurs années à Rome. Il enseigna plus tard l’histoire de l’art à l’université d’Iéna, et il publia, avec Meyer et Schulze, la première édition complète des œuvres de Winckelmann. Fernow avait eu à lutter contre un obstacle de plus que Schopenhauer, la pauvreté ; Johanna le recueillit chez elle pendant sa dernière maladie, en 1808. Le 28 avril, Arthur reçut une longue lettre de sa mère, contenant une note presque aussi longue de Fernow[1] : « Je me suis réservé cette journée, disait-elle, pour pouvoir répondre en détail à tes plaintes et à tes désirs. A moi aussi, mon cher Arthur, la chose me tient à cœur ; j’y ai beaucoup réfléchi, et cependant je ne suis arrivée à aucun résultat satisfaisant, tant il est difficile de se mettre par la pensée dans la situation d’un autre, là surtout où il y a différence de caractère. Tu es irrésolu par nature, moi trop prompte peut-être et trop portée à choisir, entre deux issues, celle qui paraît la plus étrange : c’est ce que j’ai fait en venant m’établir à Weimar, où j’étais une étrangère, au lieu de retourner, comme la plupart des femmes l’auraient fait à ma place, dans ma ville natale, où j’aurais retrouvé des parens et des amis… Je savais depuis longtemps que tu étais mécontent de ta situation, mais je n’en étais pas inquiète, car j’attribuais ton mécontentement à d’autres causes. Je ne sais que trop aussi que la joyeuse humeur de la jeunesse ne t’a pas été donnée en partage, et que tu as malheureusement hérité de ton père un penchant à la réflexion

  1. On a reproché à tort à Johanna Schopenhauer d’avoir fait attendre sa réponse un mois à son fils. Dès le 13 avril, elle lui avait écrit une lettre, où elle lui apprenait la mort de la duchesse Amélie, et qui commençait par ces mots : « J’ai à répondre à deux de tes lettres, l’une très longue et sérieuse, et qui mérite une réponse sérieuse… J’y répondrai en détail : cela te prouvera une fois de plus que je t’aime et que j’ai du moins le désir de contribuer à ton bonheur, si je n’en ai pas le pouvoir… » Cette lettre, dont Düntzer n’avait donné que des fragmens, a d’abord été publiée en entier dans le Journal de Francfort du 9 avril 1902.