n’était pas tenu à plus de détails, ni, en pareil cas, à plus de franchise. Dans le public, on croyait à un suicide. Gwinner, l’un des biographes les mieux informés de Schopenhauer, dit : « Des déclarations qui m’ont été connues indirectement, provenant de la mère et du fils, auquel, du reste, je me suis abstenu de poser aucune question à ce sujet, permettent à peine de douter que le bruit public ait été fondé. » Grisebach, au contraire, se fait un devoir d’ignorer ces renseignemens « indirects[1]. » Ce qui est certain, c’est qu’on remarquait depuis quelque temps chez Henri Schopenhauer une singulière défaillance de la mémoire ; il ne reconnaissait plus ses amis, leur parlait comme à des étrangers. Peut-être Arthur Schopenhauer a-t-il pensé à son père, lorsqu’il a écrit ces mots dans un chapitre de son grand ouvrage, où il traite du génie et de la folie : « Le plus souvent, les fous ne se trompent point dans la connaissance de ce qui est immédiatement présent ; leurs divagations se rapportent toujours à des choses absentes ou passées, et indirectement à la liaison de ces choses avec le présent : en conséquence, leur maladie me paraît affecter surtout la mémoire[2]. » Si la mort de Henri Schopenhauer a été due à un suicide, c’est un trait de plus à ajouter aux annales pathologiques de la famille.
Arthur pouvait se croire libre ; il porta sa chaîne encore deux ans, pour des raisons qu’il indique. Le ressort de sa volonté était brisé ; une tristesse morne le paralysait ; enfin la promesse qu’il avait faite à son père lui paraissait d’autant plus sacrée que celui-ci n’était plus là pour l’en délier. Sa mère, pour l’arrangement de sa vie à elle, se montra moins hésitante. Elle procéda d’abord à la liquidation du fonds de commerce ; puis elle songea à s’établir dans une ville où elle pût se livrer à ses goûts littéraires. Son choix se porta naturellement sur Weimar, le séjour des Muses, comme on disait alors. Elle y fit un voyage de reconnaissance, avec sa fille Adèle, au mois de mai 1806, et, à son arrivée, elle écrivit : « Je crois, mon cher Arthur, que je dresserai ici ma tente. Les relations y sont agréables, et l’on y vit à bon marché. Je pourrai, avec peu de peine et encore moins de frais, réunir au moins une fois par semaine les plus fortes têtes de la ville et peut-être de l’Allemagne. » Elle se lia dès lors avec le bibliothécaire de la duchesse Amélie, Fernow, qui