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entre les deux parens de Gœthe. Johanna, telle qu’on nous la dépeint, était plutôt gracieuse que belle ; elle était de petite taille, avait les cheveux bruns, les yeux bleus, et dans sa physionomie une expression de vivacité affable et prévenante ; elle aimait le monde et causait à merveille. Elle venait d’avoir son rêve de jeunesse, un amour déçu ; et quand le riche commerçant demanda sa main, elle l’accepta sans hésiter. « Je ne pris même pas, dit-elle, les trois jours de réflexion que, selon l’usage du temps, les jeunes filles se réservaient. De telles simagrées ont toujours répugné à mon sens droit, et je gagnai ainsi, dès le premier instant et sans le savoir, l’estime de l’homme le plus libre de préjugés que j’aie jamais connu. » Johanna devint plus tard célèbre par ses romans. Pour le moment, elle ne pensa qu’à jouir de l’aisance que lui procurait son époux, à satisfaire les besoins d’élégance et de luxe qui étaient dans sa nature. Elle s’établit dans une spacieuse villa, ayant vue sur la mer et adossée à des forêts. « Que ne possédais-je pas ! le superbe jardin disposé en terrasses, le jet d’eau, l’étang avec sa gondole peinte qui venait d’Arkhangel, si légère qu’un enfant de six ans l’aurait dirigée, des chevaux, deux petits chiens d’Espagne, huit agneaux blancs comme neige, avec des clochettes au cou, dont la sonnerie argentine formait une octave complète, ensuite le poulailler avec des espèces rares, enfin les grosses carpes dans l’étang, qui ouvraient leurs grandes bouches dès qu’elles entendaient ma voix, et se disputaient les miettes que je leur jetais de ma gondole. » Quoiqu’elle n’aimât pas les « simagrées » dans la vie ordinaire, elle ne manquait pas d’une certaine teinte romanesque. Elle se souvient avec émotion des « courtes et tièdes nuits d’été du Nord, où le soleil se cache pendant quelques heures seulement, comme pour narguer les hommes, et où la raie de pourpre du couchant n’est pas encore éteinte, quand déjà les feux d’un jour nouveau montent à l’orient[1]. »


II. — L’EDUCATION

Arthur avait cinq ans quand la famille, fuyant devant l’occupation prussienne, s’établit dans la ville libre de Hambourg. Son unique sœur, Adèle, naquit quatre ans après, en 1797. La même

  1. Jugendleben und Wanderbilder, Brunswick, 1839.