repousse l’attachement et la confiance. N’éprouvant pas ces haines passionnées contre le sang et contre les persécuteurs, leur porte était ouverte à tout le monde et, leur curiosité pour voir les personnes célèbres de cette époque n’étant arrêtée par aucune répugnance, on peut se figurer les gens qui sont entrés dans leur chambre[1]. »
Bien que ces notes d’une observatrice attentive et clairvoyante se rapportent à la période postérieure au 9 thermidor, elles éclairent d’une lumière précieuse, en ce qui touche les dames de Bellegarde, la période antérieure, celle qui suivit leur arrivée à Paris. Leur curiosité les poussant, elles voulaient tout voir et tout connaître, les hommes et les choses, les acteurs et le théâtre des grands événemens qui se déroulaient à leur portée. Pour circuler à travers ces agitations mémorables, elles avaient un guide sûr, c’était Hérault de Séchelles. Il mettait quelque orgueil aies produire partout où lui-même brillait.
Il est logique de penser qu’elles étaient dans les tribunes de la Convention lorsqu’il fit casser la fameuse Commission des Douze, lorsqu’il réclama la mise en liberté d’Hébert, et pendant les tragiques séances de mai et de juin, alors qu’il la présidait et dut tenir tête au farouche Hanriot déclarant « que le peuple ne s’était pas levé pour écouter des phrases, mais pour donner des ordres. » Le 10 juillet, elles assistèrent sans doute à son élection comme membre du Comité de Salut public et, probablement, l’entendirent défendre la Constitution dite de 1793, en qualité de rapporteur. Enfin elles le virent figurer comme président de la Convention, dans la fête solennelle qui fut donnée le 10 août pour célébrer la mise en œuvre de la charte nouvelle et commémorer la prise de la Bastille.
A la place de l’antique forteresse, on avait élevé une colossale statue de la Nature ; l’eau coulait de ses seins. Hérault, tenant enlacé un vieillard, vénérable doyen de la Convention, s’avança, une coupe à la main ; il remplit cette coupe, et tous deux y burent, au bruit des applaudissemens et des acclamations de la foule, qui n’avait d’yeux que pour le beau Séchelles. Ses amies eurent la joie de constater qu’il était le triomphateur du jour. Elles se fussent moins réjouies, si elles avaient pu surprendre le regard jaloux, soupçonneux et chargé de haine que, durant cette
- ↑ Mémoires d’Aimée de Coigny, duchesse de Fleury, publiés car M. Etienne Lamy.