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révéler l’étendue de son malheur. La correspondance avait même cessé tout à coup. Aux mois d’avril et de mai, il demandait en vain des nouvelles à tous les échos et priait un de ses officiers, le marquis Henry Costa, de tâcher de s’enquérir par la marquise, plus à proximité que lui de Chambéry, du sort de sa femme[1].

Les informations que parvint à recueillir le jeune officier étaient telles qu’il n’osa pas les communiquer à son colonel. Sans révéler toute la vérité, elles disaient que les citoyennes Bellegarde étaient parties pour Paris en compagnie de Hérault de Séchelles et de Philibert Simond qu’avait rappelés la Convention, leur mission terminée. C’était vrai. La fugue des jeunes femmes avec les deux conventionnels, dont la présence à côté d’elles durant ce voyage équivalait à l’aveu public de leur liaison, était à Chambéry le sujet de tous les entretiens. Bientôt, plusieurs lettres arrivèrent au comte de Bellegarde. Elles ne lui parlaient pas des compagnons que sa femme et sa belle-sœur s’étaient donnés. Les raisons à l’aide desquelles elles lui expliquaient leur départ pour Paris ramenèrent la paix dans son âme. « Je vous ai dit les malheurs et les inquiétudes bien légitimes de mon pauvre colonel, écrivait le marquis Costa. Nous sommes, ou plutôt il est rassuré aujourd’hui sur le sort de ses femmes dont il a reçu plusieurs lettres à la fois. »

Quelques jours plus tard, Costa confirmait ses premiers dires dans un langage où la pitié le dispute à la raillerie : « Le mari est tout consolé de voir que sa femme, dont il ne savait rien, n’est point morte. Mais il l’aimerait, je crois, mieux ailleurs qu’à Paris. Le pauvre homme était tenaillé d’inquiétudes et les larmes lui sortaient des yeux comme des flèches. C’est quelque chose que d’en être soulagé. Vous sentez que, sans souffler mot des compagnons, je répète tant que je puis à Bellegarde qu’il y a un Dieu qui veille particulièrement sur les jolies femmes, qu’il faut les laisser courir quand on ne peut faire mieux, que c’est folie d’en prendre des cheveux gris, qu’assez d’autres calamités nous tombent sur la tête sans celle-là, et que, les pèlerines étant jeunes, pleines d’esprit, hardies, heureuses, elles s’en tireront sans que nous nous en mêlions. N’écrivez donc pas, ainsi que je vous l’avais demandé, pour avoir des nouvelles de ces gentilles

  1. Voyez un Homme d’autrefois, p. 181 et 182.