Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Bordelais avec Tallien, les Nantais avec Carrier, les Lyonnais avec Fouché, les Marseillais avec Fréron, les habitans de Vaucluse avec Maignet, les Cévenols avec Javogues. Mais, quoique leur part de supplices ait été moindre, le régime auquel ils furent soumis eut pour effet, peu de temps après l’annexion, de leur rendre lourde et haïssable la domination française. Il fut aisé de s’en rendre compte lorsqu’en août 1793, le roi de Piémont tenta de reprendre la Savoie. Si cette province, qui s’était naguère jetée avec enthousiasme dans les bras de la France n’eût été alors enchaînée et terrorisée, elle se fût remise volontairement sous le pouvoir de son ancien souverain, dont la défaite finale la livra sans défense au despotisme de la Convention.

Quelques semaines après leur arrivée en Savoie, les citoyens commissaires y étaient exécrés autant que redoutés. Ils ne comptaient de partisans que parmi la plus basse lie du peuple dont, avec le concours de quelques hommes dévorés d’ambition ou pervertis par la peur, ils flattaient les passions et excitaient les convoitises. Si les haines et les ressentimens inspirés par leurs vexations avaient osé se manifester, on aurait vu tout le pays se soulever comme se soulevaient Lyon et diverses contrées du Midi, et, pour le réduire, il eût fallu faire marcher une armée. Mais la peur paralysait les intentions, glaçait les courages. A l’image de la France, la Savoie courbait la tête sous la puissance jacobine qui s’ouvrait, au même moment, une voie sanglante en envoyant Louis XVI à l’échafaud.

Absens de Paris, les représentans du peuple en mission dans la Savoie auraient pu se dispenser de s’associer au vote de la Convention qui prononçait la mort du roi. Mais ils revendiquèrent leur part de responsabilité et s’associèrent à ce crime, en écrivant de Chambéry : « que leur vœu était pour la condamnation de Louis Capet sans appel au peuple » Cette manifestation permettait de prévoir qu’ils ne reculeraient plus devant aucun excès et qu’ils avaient adopté le terrorisme comme le plus efficace moyen de gouvernement et de domination.

Liées avec de tels hommes, n’ayant pas craint de passer, au mépris de leurs traditions de famille, dans le camp jacobin et de fouler aux pieds toute pudeur en contractant avec Hérault de Séchelles et Philibert Simond une liaison scandaleuse, les dames de Bellegarde s’étaient vouées elles-mêmes au mépris public.