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bouclés aux extrémités. La figure est douce, grave, l’œil mélancolique avec une expression de bonté. Rien n’y révèle le railleur cynique que nous a dépeint Bellart, ni l’insurgé qui a marché contre la Bastille. Sous cette physionomie d’aristocrate, il est difficile de deviner le terroriste de demain, le député qui va se ranger parmi les plus menaçans et que ses propos audacieux porteront à la présidence de l’Assemblée dans laquelle il vient d’entrer, et plus tard à celle de la Convention où il siégera comme député de Seine-et-Oise.

Mais, ne nous méprenons pas : ce masque est menteur ! Les pensées qu’il nous cache ne tarderont pas à surgir, à éclater, à se traduire dans les actes et les paroles, qui nous montreront l’homme à nu, alors que, loin de se contenir, il aura tout intérêt à se montrer tel qu’il est. Il va maintenant brûler ses dieux d’antan, attaquer les souverains dont la bienveillance a tant contribué à satisfaire ses ambitions. Royaliste de naissance, il approuvera la mort du roi ; catholique d’éducation, il détruira les sanctuaires, brisera les autels : « La nature doit être le Dieu des Français, comme l’univers est son temple. Il faut remplacer les rêveries du paganisme et les folies de l’Eglise par la Raison et la Vérité, les religions mensongères par l’étude de la nature. » Aristocrate de naissance, il souhaitera : « F…, entre nous que l’aristocratie s’en aille, par en haut et par en bas. » A la Législative, il prélude à ce qu’il fera et écrira par la suite, en s’associant à toutes les mesures inquisitoriales et arbitraires ; en en prenant parfois l’initiative, comme, par exemple, lorsqu’il propose à ses collègues, qui l’approuvent, l’établissement du tribunal criminel que remplacera bientôt le tribunal révolutionnaire de sinistre mémoire.

C’est vers ce temps, alors que sa métamorphose est complète et publique, qu’un soir, en rentrant chez lui, après avoir voté la déchéance de la royauté et l’emprisonnement de la famille royale, il trouve sur son bureau cette lettre anonyme, saisie plus tard parmi ses papiers, qui lui apporte le témoignage insultant du mépris et des haines que d’honnêtes gens lui ont voués :

« Que de vils factieux, d’infâmes scélérats sortis de la fange inventent et exécutent tous les crimes présumables pour se maintenir dans l’autorité qu’ils ont usurpée, c’est ce qui ne surprendra pas ceux qui connaissent la canaille et sa férocité. Mais