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1790, lorsque les électeurs furent appelés à désigner des juges, les suffrages de ceux de Paris se portèrent sur Hérault de Séchelles. Le moment des violences n’était pas encore venu. Bien que les actes eussent pour effet de briser toutes les institutions du passé, les paroles restaient modérées. On en trouve la preuve dans le langage que tint le nouveau magistrat à ceux qui l’avaient élu. « Le choix de mes concitoyens a surpassé mon attente. Mais, au moment que vos suffrages m’ont fait remonter au rang des juges, je n’ai dû écouter que les voix de la patrie et je me suis empressé de lire mon devoir dans une bienveillance qui m’honore. Ainsi, au milieu d’une révolution qui a tout changé, je vous devrai, messieurs, de me retrouver encore le même en continuant à consacrer ma vie au maintien de la justice et aux intérêts de l’humanité. »

Cette modération ne trompait pas tout le monde. La grand’mère Hérault, qui considérait l’élection des magistrats comme un attentat à l’autorité du roi, reprocha à son petit-fils de s’être laissé nommer par une assemblée électorale. Mais il était habile à se faire pardonner. L’événement n’enleva rien à l’intimité des relations de famille. Hérault continua à se partager entre Paris où le retenaient ses fonctions et ses espoirs d’avenir, Livry où l’appelaient les nobles femmes qui l’avaient élevé, et sa terre d’Epone où il aimait à aller se délasser de ses travaux.

Au commencement de l’année suivante, il fut envoyé en Alsace, comme commissaire du roi, avec Mathieu Dumas, alors colonel du régiment de Languedoc-Infanterie, et le président Foisset, du tribunal de Nancy. Il s’agissait de rétablir l’ordre dans cette province, où la Révolution avait pris, dès ses débuts, un caractère de guerre civile. Il ne fallait, pour réussir dans une telle mission, que de la fermeté et un sincère désir de conciliation. Secondé par ses deux collègues, Hérault de Séchelles donna tout ce qu’on attendait de lui. Mais ce fut sa dernière manifestation modérée. Nommé, dès son retour à Paris, commissaire du roi au Tribunal de cassation, il ne fit qu’y passer. Au mois de septembre suivant, les électeurs de la Seine l’envoyèrent à l’Assemblée législative. Il avait alors trente et un ans.

Un portrait de lui que j’ai sous les yeux date de cette époque. Il y est représenté vêtu d’un habit couleur de noisette à collet rabattu, les revers du gilet blanc étalés sur ceux de l’habit, une ample cravate blanche formant jabot, les cheveux poudrés,