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unique héritier. De bonne heure, sa mère le destina à la magistrature. Non moins qu’à l’armée, il était assuré d’y faire rapidement un brillant chemin, grâce aux souvenirs de son grand-père comme aussi grâce au goût très vif que, de bonne heure, il manifestait pour les belles-lettres, le droit et toutes les choses intellectuelles. Dès l’âge de vingt ans, avocat du roi au Châtelet, il s’essayait à écrire autant qu’à parler, ayant tout à la fois des prétentions au beau style et au beau langage. La grande comédienne Clairon lui apprenait à bien dire. C’est sans doute en se rappelant les leçons qu’elle lui a données que plus tard, dans sa Théorie de l’ambition, il consacrera un chapitre aux qualités de pensée, de diction et de geste que doit acquérir quiconque veut être orateur. Quant à l’art d’écrire, c’est dans les classiques grecs, latins et français et surtout dans Jean-Jacques Rousseau, dans Buffon qu’il en cherchait le secret.

Il professait pour ces deux écrivains une admiration sans limites. Le second était encore vivant. Il voulut se rapprocher de lui. Il lui écrivit au château de Montbard pour solliciter l’honneur d’y être reçu. C’était en 1785. Il venait d’entrer au Parlement comme avocat général. « Je regarderai comme l’époque la plus glorieuse de ma vie, si vous voulez bien m’honorer d’un peu d’amitié, si l’interprète de la nature daigne quelquefois communiquer ses pensées à celui qui devrait être l’interprète de la société. » Buffon répondit en invitant le jeune magistrat avenir passer quelques jours auprès de lui. Durant la route, Hérault de Séchelles relut l’une des œuvres de son amphitryon. « Je me nourris de ce style grand, relevé, mais simple, qui généralise tout, qui découvre une multitude de rapports, dont on ne peut changer ni déplacer un mot[1]. » Il passa là quelques jours dans un véritable enchantement et revint débordant d’un enthousiasme qui éclate à chacune des pages de son Voyage à Montbard.

L’admiration que lui inspirait Jean-Jacques n’était pas moins vive, quoique affectant d’autres formes. Il en témoigna en faisant le voyage de Hollande à l’effet de devenir possesseur du manuscrit autographe de la Nouvelle Héloïse et en payant au prix de 24 000 livres la satisfaction de l’avoir dans sa bibliothèque,

  1. Annotations de la main de Hérault de Séchelles sur un exemplaire de ses œuvres, conservé à la Bibliothèque Nationale (manuscrits).