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Le mariage, auquel Mlle Magon, séduite par ce colonel de vingt ans, avait joyeusement consenti, fut célébré à Saint-Malo le 11 août 1758. Les époux ne demeurèrent ensemble que quelques mois. Le 18 février suivant, le maréchal dut reprendre le commandement de l’armée d’Allemagne et le colonel de Séchelles celui de son régiment qui faisait partie de cette armée. Mme de Séchelles, après son mariage, s’était rendue en Picardie. Elle y resta confiée à sa belle-mère, ne voyant son mari qu’à de rares intervalles.

Du fond de leur solitude, les deux femmes suivirent avec angoisse les péripéties de la campagne qui venait de s’ouvrir. Ces péripéties, de jour en jour, se multipliaient et s’aggravaient. Les combats se succédaient sans modifier la situation des belligérans. Plusieurs mois s’écoulèrent ainsi, et Mme de Séchelles venait de déclarer à sa famille qu’elle était grosse, lorsque, au commencement d’août, lui arriva la douloureuse nouvelle de la défaite qu’à Minden, en Westphalie, le duc Ferdinand de Brunswick avait fait subir, le 1er du même mois, à l’armée commandée par le maréchal de Contades.

Les résultats de cette défaite étaient désastreux pour nos armes. Sur 12 240 hommes engagés, 2 977 avaient été tués, dont 130 officiers. On comptait 1 450 blessés, prisonniers ou disparus, parmi lesquels des officiers au nombre de 182. Sur cette liste où les noms d’illustres héritiers de la noblesse française : Chimay, La Fayette, La Murinais, Montmorency, Sabran, Maugiron, Poyanne et tant d’autres étaient inscrits en lettres de sang, figurait le colonel de Séchelles. En chargeant les Anglais à la tête de son régiment, il avait reçu deux coups de sabre sur le crâne et était tombé au pouvoir de l’ennemi. Ses soldats, bien que leurs rangs fussent décimés par la mitraille, étaient parvenus à le délivrer et l’avaient transporté aux ambulances encombrées déjà de blessés et de morts, où, dans la panique générale causée par cette défaite inattendue, les médecins ne pouvaient prodiguer à ce qui vivait encore que des soins hâtifs et insuffisans.

Désespérées, sa femme et sa mère partirent aussitôt pour Paris, afin d’être plus à portée de recevoir des nouvelles. Elles trouvèrent la capitale en proie au plus violent émoi. Ce qu’on racontait d’un événement qui rappelait Rosbach y avait jeté la consternation. Les familiers du maréchal de Belle-Isle, ministre de la Guerre, colportaient le contenu des lettres qu’il avait reçues