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ces litanies, ces femmes courbées sur des rosaires, cette molle odeur de l’encens, des cires qui fondent, des monceaux trop épais de fleurs, cette chaude lumière emprisonnée à l’heure du crépuscule dans de l’or que l’on dirait byzantin, — que tout cela nous touche de nostalgie, que tout cela est apaisant, engourdissant comme une tiède caresse pour le cœur, chargé de puissances d’hypnose ! Un refuge hors du monde à la façon des chapelles scintillantes, englouties à six heures du soir dans la nuit d’un grand vaisseau gothique ! Le vieux mysticisme oriental, dont c’est ici l’une des patries ! Par quelles voies s’est-il insinué pour l’ensorceler et l’alanguir dans notre vigoureux Occident ? Qui, dans les naos vides d’Egypte, dans les fourmillantes pagodes de l’Inde, a senti sur ses nerfs les influences de son trouble parfum, le reconnaîtra toujours ! Du premier coup, en approchant du Parthénon, on sent bien qu’il n’a jamais flotté sous ce péristyle et ce fronton. — Mais, auprès d’un autel catholique, comme on en retrouve les spéciales magies, les endormans effluves ! Surprenantes ressemblances, aux deux bouts de l’énorme continent, entre des civilisations qui purent subir des influences communes, — à quel moment précis, par quels intermédiaires ? peut-être à la faveur du confus mélange, de la fermentation d’idées et de races opérés par l’empire romain — mais qui se développèrent sans se connaître. Non seulement, du bouddhisme au catholicisme, les analogies de sentiment sont frappantes, — mais combien de faits, de formes, d’institutions de même espèce ! A l’origine du bouddhisme, un maître, un sauveur du monde, venu « par pitié pour le monde ; » autour de lui, des apôtres ; puis des récits oraux de ses gestes et de ses paroles, fixés en pitakas qui sont des évangiles ; des conciles enfin arrêtant le dogme et les disciplines ; — en Birmanie, des couvens, des religieux tondus, des retraites, un baptême, un carême, des cloches, des chapelets, des cierges ; à Ceylan, des officians ; au Japon, un culte dont le détail rappelle la messe d’une façon saisissante, des Kwannon qui semblent des statues de la Vierge, des vêtemens sacerdotaux qu’on prendrait pour des camails, des étoles ; au Thibet, une hiérarchie ecclésiastique qui s’étage sous l’autorité d’un pape, des cathédrales, des chapitres, des offices chantés, de l’eau bénite, tout cela menant l’homme par des disciplines minutieuses, par des procédés d’hypnose et la peur de l’enfer, vers le renoncement à soi, endormant sa volonté de vivre, le détachant de lui-même et du monde.