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de son principe de vie et la béatifique extinction de soi-même. Toute-puissance sociale de ces formules et litanies : par suggestion, elles agissent sur l’homme ; elles assurent en ces âmes d’aujourd’hui l’empire de la vieille morale bouddhique ; elles perpétuent les antiques civilisations que cette morale a fait éclore. « Vénération au Bouddha, » répètent ces petits Birmans de notre XXe siècle, comme, au temps d’Açoka, les bouddhistes de la vallée du Gange. « Vénération à la Loi, vénération à l’Assemblée… »… « Je vénère avec le corps, avec la bouche, avec l’esprit… »… « Aneh’sa, Dokka, Anatta, » dit encore le gracieux peuple : « Changement, Souffrance, Illusion. » La voilà, la triste devise où se concentre tout le vieux pessimisme de l’Inde, celle qui nie tout bonheur et toute réalité, — étrange formule de vie dont pourtant a vécu la moitié de l’humanité, plus surprenante encore dans la bouche de ces mignonnes poupées roses. Avec quel souci de l’intonation cérémonieuse, de l’attitude prescrite, on la psalmodie ! Pour achever de gagner les grâces qui s’y attachent, chaque paire de mains accolées se lève jusqu’à la racine du nez, s’y appuie de la base du pouce et reste là, cependant que trois fois, par plongeons mécaniques, soudain cassées en deux, les figurines se prosternent, aplatissent leurs faces contre terre.

Ceci à l’entrée des quatre chapelles qui au nord, au sud, à l’ouest, à l’est, s’enfoncent dans l’épaisseur de la grande spire. Très sacrées, très anciennes, ces chapelles, surtout celle du sud où nous nous arrêtons, car son histoire se perd dans une antiquité de légendes[1], remonte au temps où furent apportés en Birmanie les huit cheveux de Bouddha, dont cette pagode est la cassette merveilleuse. Dans ces chapelles, l’or d’un éclat plus sourd, arrondi aux angles, bossue par les âges, a l’air d’une vieille pâte tendre et précieuse, toute striée de noir. Les Gautamas y sont parfaitement nobles ; rien de la mollesse atone, de la grasse béatitude qui ennuie tant chez ceux d’aujourd’hui. Du haut de leurs piédestaux de granit qui sont des lotus stylisés, les saintes figures sourient, les paupières baissées, d’un sourire retroussé, très aigu, comme celui des Athènes primitives, des divinités archaïques de tous les peuples : sourire d’une dignité mystérieuse et souveraine. Le bras droit tombe ; la main s’allonge sur le genou dans une éternité de paix. Avec un soin

  1. Suivant les bouddhistes, 388.