qui, toujours, les ramène au pied de ces autels, c’est ce génie même qui résiste aux progrès de « la raison, » de la courte raison humaine, — seulement humaine, et qui lui en veut, à ce mystérieux génie, parce qu’il est d’un autre ordre qu’elle-même, vraiment irrationnel, spontanément issu de l’insondable et divine nature, incompréhensible dans ses démarches comme les principes et les procédés de la vie.
En rang, les petites dévotes, à un pas les unes des autres. Toutes sont à genoux, le corps assis sur la semelle retournée, mais, soigneusement, les plis du pagne cachent tout de leurs pieds nus. Attentives, avec une minutie religieuse, à la hauteur de leurs visages elles ont levé leurs mains que le rite accole, et leurs doigts allongés serrent l’offrande qu’elles présenteront tout à l’heure : baguette d’encens, brochette de fleurs, et toutes ces attitudes sont parallèles, identiques. De menus paquets posés à terre, des ballots de soie rose et safran d’où sortent ces petites boules de têtes à chignon, ces graves petits profils camus, ces mains tendues et sévèrement unies. Entre les femmes il y a beaucoup d’enfans, eux aussi en blouse lumineuse de soie, et les yeux bridés, — des petits nés d’hier qui viennent s’initier à la vieille religion d’extrême Asie, répéter les altitudes minutieuses que chaque génération bouddhiste enseigne à la suivante. J’aperçois même un enfant blanc ; c’est un petit Anglais à cheveux blonds ; sans doute une pieuse nourrice l’amène ici pour que les bonnes influences du Gautama doré le suivent dans sa vie païenne. Il y a deux barbares du Nord, sabre au côté, chapeaux coniques comme ceux des Pavillons noirs, et qui, visiblement, s’appliquent à bien copier les gestes des fidèles, n’ayant pu s’instruire, dans leur pays sauvage, à tous les rites de la religion de douceur et d’innocence. Et des chiens, un chat, mêlés aux rangs attentifs, non loin des arbres sacrés, des beaux arbres-pagodes où des images sourient dans leurs niches, sous les mangeoires disposées pour les oiseaux du ciel.
Point d’officians, point de musiques ni de chants. Rien qu’un sourd bourdonnement, murmure non de prières, mais de sentences, de formules récitées très vite, en ritournelle, car leur nombre fait leur pouvoir : comme les coups frappés sur les cloches, leur répétition ajoute au crédit du fidèle ; son karma en dépend, la qualité de sa prochaine renaissance dans la série des formes qu’il lui reste à traverser avant le total épuisement