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roi Denis, décoré de la Légion d’honneur, largement approvisionné de rhum et de verroteries, usait surtout de sa prérogative pour présenter aux blancs, parmi les plus séduisantes de ses « filles, » les compagnes temporaires qui lui étaient officiellement demandées ; l’inépuisable famille de ce souverain a fait de lui, pendant une quarantaine d’années, le beau-père de gendres innombrables autant qu’éphémères.

Sous ce régime de tranquille indolence, le Gabon végéta, sans inquiéter les pouvoirs publics, jusqu’en 1875 ; successivement divers postes furent fondés sur le littoral, par des traités avec des princes indigènes, aux bouches de l’Ogooué, au cap Lopez. Un Français naturalisé Américain, Du Chaillu, s’avança dans l’intérieur jusqu’à 300 kilomètres, pour chasser le gorille. Lambaréné, au point où finit l’Ogooué maritime, fut atteint, en 1862, par deux officiers de vaisseau, et quelques factoreries s’établirent dès lors, à la côte et le long de ce fleuve. Mais la guerre de 1870 arrêta cette expansion naissante. Peu de temps après, des explorateurs de nationalités diverses essayèrent de s’enfoncer dans l’arrière-pays : ce sont l’Anglais Grandy, qui déclara la pénétration impossible entre l’Equateur et 10° S. ; les Allemands Güssfeldt et Lenz, qui échouèrent à peu près de même, enfin les Français Marche et Compiègne (1872-1874), qui remontèrent l’Ogooué sur 160 kilomètres, et ne réussirent, après d’atroces privations, qu’à rapporter quelques collections d’histoire naturelle : une épaisse forêt, défendue par des populations cannibales, semblait dresser une barrière infranchissable devant les voyageurs, et limiter à une étroite zone côtière la carrière ouverte, aux Européens.

Il était réservé à M. de Brazza de rompre ce charme. Italien naturalisé Français, enseigne de vaisseau, M. de Brazza proposa au ministre de la Marine, en 1874, le plan d’une mission destinée à reconnaître le cours supérieur de l’Ogooué ; le jeune officier était persuadé que ce fleuve se développait en un réseau considérable sur les plateaux intérieurs et qu’en le remontant, on atteindrait le nœud hydrographique commun, les Alpes centrales africaines, d’où tombaient, pensait-il, tous les grands fleuves du continent, du Nil au Congo et au Zambèze. S’il se trompait sur la structure générale de l’Afrique, du moins il avait compris qu’il ne fallait pas s’arrêter au rideau des obstacles proches de la côte, ainsi que les Européens l’avaient fait depuis près de