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impossible à l’homme qui a vécu de ne l’être pas. Mais la forme du mal est du moins assez douce chez moi, le symptôme est tranquille, et j’espère ne pas trop incommoder mes amis de mes plaintes jusqu’à ce que je profite peut-être de leur vie saine pour moi[1].

« A bientôt donc, indulgence d’avance et amitiés toujours. Mille respects affectueux à Mme Olivier, que j’espère trouver toute rétablie.

« De cœur. »


12 octobre 1837.

« Cher ami,

« Nos lettres se croisent perpétuellement ; celle-ci du moins sera la dernière. Je pars dimanche de Paris à sept heures et demie du matin, et ne m’arrêterai pas en route. C’est donc l’affaire de quatre jours et de trois nuits, je pense. Mais ne vous inquiétez en rien de mon arrivée, vous absens ; en arrivant, je descendrai pour quelques jours à l’hôtel. Je verrai M. Espérandieu[2]pour les premières démarches et visites ; je devrai aussi me mettre incontinent à l’étude et je prendrai pour cabinet de travail la chambre même que vous voulez bien m’indiquer chez vous. C’est ainsi que j’attendrai votre arrivée. Au milieu des soins si grands que demande la chère santé de Mme Olivier, n’allez pas trop mêler le mien. Mon seul souci, c’est vite de me mettre au travail en arrivant, et par vous mon cabinet de travail est tout trouvé. Le reste du vivre et du coucher se fera aisément et sans que vous y pensiez, ni moi guère.

« Mille hommages et vœux du cœur pour Mme Olivier et à vous toutes mes amitiés et moi bientôt tout entier

« SAINTE-BEUVE.

  1. On sait de quel mal souffrait alors Sainte-Beuve ; sa blessure saignait encore à la fin de cette année 1837 où il avait publié les Pensées d’août et commencé son cours de Lausanne. Il écrivait de cette ville, à Marmier, le 29 décembre : « L’amour est ajourné ; le reprendrai-je jamais ? Ai-je passé le temps d’aimer ? — Attendons, oublions surtout, oublions ce que nous avons cru éternel. Voyez-vous, c’est à jamais fini de ce côté que vous savez : je ne reverrai ni n’écrirai jamais ; j’ai été blessé d’une telle indifférence ! mais blessé, cela veut dire que j’en souffre encore… » (Correspondance de Sainte-Beuve, t. I, p. 41.) — Nous verrons plus loin qu’il revit, quelques années après, celle qui lui avait fait cette blessure, mais il était guéri et s’était pris à d’autres liens.
  2. William Espérandieu, ancien juge au Tribunal d’appel du canton de Vaud et l’un des fondateurs du Nouvelliste Vaudois, mort on 1876. Grand ami de Vinet, de Monnard et surtout de Juste Olivier, il avait puissamment contribué, comme membre du Conseil de l’Instruction publique, à faire appeler Sainte-Beuve à Lausanne.