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en Suisse un de nos amis voyageurs que je redoute un peu : Cousin. Si on l’écoute, il me nuira, quoique ami. Mais c’est un des amis d’ici, voyez-vous ? Il me louera de manière à me déprécier, sans malveillance : mais il est ainsi, et il ne faut pas lui en vouloir. Je l’entends d’ici s’étonner et faire mon oraison funèbre. Si quelque obstacle venait de ce côté, il y aurait peut-être lieu de le prévenir. Ses paroles, si spirituelles d’ailleurs, n’ont plus cours dès longtemps sur la place ici. Mais j’espère qu’il arrivera à Lausanne trop tard pour influer en rien[1].

« Je compte vous arriver d’assez bonne heure ; je voudrais être à Lausanne le 15 par exemple, afin d’avoir le temps de préparer mon petit établissement d’étude, mes livres, et aussi mon cours pour lequel j’ai tout à faire. Comme j’ai énormément de livres à transporter et que le roulage est lent, si vous pouviez savoir par M. Ducloux s’il y a des moyens particuliers de Paris à Lausanne, je vous serais obligé de me le dire dans votre prochaine. Mon volume des Pensées d’août a paru : je voudrais savoir comment vous en envoyer ; du moins je vous le porterai moi-même. Voici, en attendant, la pièce que vous désiriez. J’ai hier dîné avec M. Hollard, de Lausanne, de vos amis et de ceux de M. Vinet[2], nous avons causé pays. Ma détermination ne paraît pas ici, près de ceux qui la connaissent, aussi étrange que vous voulez bien supposer qu’ils la trouveront. Ampère, Lerminier, Buloz lui-même, Renduel, mon indispensable conseil, l’approuvent : voilà bien des voix inégales sur le même ton. Je vous sais gré d’avance de tout le bien sérieux que vous m’aurez fait

  1. Ce n’est pas sans raison que Sainte-Beuve se méfiait des menées secrètes de Cousin, car c’était son moindre défaut que d’être foncièrement jaloux, même de ceux qui étaient incapables de lui porter ombrage. Heureusement pour Sainte-Beuve, Cousin ne s’occupait pas encore de Pascal et des belles amies de Port-Royal. Ce n’est qu’après la publication du tome 1er de l’ouvrage de Sainte-Beuve, qu’il dirigea ses études de ce côté, au grand mécontentement de ce dernier, qui lui en garda toute sa vie rancune. Mais Victor Cousin n’avait pas attendu jusque-là pour s’intéresser au sujet spécial traité par Sainte-Beuve. Le 9 janvier 1838, Ampère écrivait à ce dernier : « J’ai rencontré Cousin qui était très content et réclamait seulement une plus grande place pour l’Oratoire. » (Port Royal, t. I, appendice, p. 518.
  2. Le nom de M. Vinet reviendra souvent dans cette correspondance. Sainte-Beuve avait fait sa conquête à la suite de l’article qu’il avait consacré à sa Chrestomathie dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1837 et l’on suit en quelle estime il tenait ce penseur délicat et profond