sourire de croire que ce n’était pas là le principal de ma vie, alors, et mon plus cher regret maintenant[1]. »
Il faut dire aussi que Mme Olivier n’était pas une femme ordinaire. Sainte-Beuve déclarait qu’elle avait reçu de la nature une organisation de Romaine ; et Doudan, qu’il aimait en elle le mélange de simplicité naïve et de supériorité ou de confiance tenant à l’esprit. Ajoutez à cela qu’elle était très belle, et vous comprendrez la séduction et l’empire qu’elle exerça, à son insu ou sans y prendre garde, sur l’esprit du poète toujours en mal d’amour qu’était Sainte-Beuve.
Mais reprenons notre récit :
En 1843, Juste Olivier s’étant rendu acquéreur de la Revue Suisse, Sainte-Beuve offrit de lui envoyer, sous forme de lettres, des chroniques parisiennes, — ce qui constituait alors une véritable nouveauté. Il n’y mettait qu’une condition, c’est que les chroniques ne seraient pas signées et qu’on lui garderait le secret. Cela lui permettrait de dire en toute franchise, voire avec un grain de malice, tout ce qu’il apprendrait des uns et des autres sur les hommes et les choses de la politique et de la littérature. Naturellement, Juste Olivier accepta ; il garda même si bien le secret à Sainte-Beuve, que, longtemps après, on se demandait encore de tous côtés, à Paris et en Suisse, quel était ce correspondant dont les informations étaient si sûres. Sainte-Beuve appelait ces chroniques parisiennes ses poisons. Le fait est qu’il y a distillé tout le fiel de ses petites jalousies et de ses petites rancunes. C’est surtout contre ses anciens camarades du Cénacle, contre Victor Hugo et contre Vigny, qu’il s’est mis en frais de méchancetés. Cela, évidemment, ne le grandira pas aux yeux de la postérité, mais, comme rien de ce qui tombait de sa plume n’est indifférent et qu’il tenait surtout à ne pas paraître dupe, cela nous donne l’explication de bien des choses qui, sans ces poisons, demeureraient à l’état d’énigme. On trouvera parmi les lettres de Sainte-Beuve un certain nombre de notes ou d’échos intéressans que Juste Olivier n’avait pas imprimés dans ses chroniques, soit parce qu’ils avaient un caractère trop intime, soit parce qu’ils auraient pu démasquer son correspondant. Il m’a semblé que l’histoire littéraire en pourrait faire son profit.
J’ai dit que la collaboration de Sainte-Beuve à la Revue Suisse
- ↑ Lettre du 2 septembre 1841.