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été imprimée, se réservant d’utiliser lui-même, quand il le jugerait à propos, la partie demeurée inédite[1].

Nous avons donc à peine besoin de signaler l’importance de la publication que nous commençons aujourd’hui. Non seulement, en effet, elle comble une lacune regrettable dans la correspondance éditée de Sainte-Beuve, laquelle ne contient pas moins de trois volumes, mais elle va permettre d’écrire sa vie, ce qu’on ne pouvait pas faire d’une manière définitive, même après la mise au jour de ses lettres à l’abbé Barbe, si précieuses pourtant au point de vue de ses divers états d’âme. Elle achève aussi d’éclairer l’histoire littéraire des trente années pendant lesquelles Sainte-Beuve entretint ce commerce épistolaire avec M. et Mme Juste Olivier.

Sainte-Beuve avait fait la connaissance d’Olivier au printemps de 1830. Celui-ci avait alors vingt-trois ans, étant né le 18 octobre 1807 à Eysins, joli petit village du canton de Vaud. Issu d’une famille d’origine française, Juste Olivier avait fait ses études, un peu comme Jules Simon, en donnant des répétitions à des élèves plus jeunes que lui, pour payer son logement et sa pension à Lausanne où il suivait les cours de l’Université. C’est dire que ses parens n’avaient aucune fortune. Et, en effet, ce n’étaient que de pauvres paysans de la Suisse romande. Le père, au témoignage de gens qui l’ont connu, imposait le respect ; la mère plaisait à première vue par la distinction et l’affabilité de ses manières. Juste Olivier disait, en parlant d’elle, qu’il lui devait son fonds poétique. Je ne sais, mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il était né poète. Il n’avait pas treize ans qu’il rimait une chanson pour la fête de son père. A dix-huit ans, il remportait le prix de poésie à l’Académie de Lausanne, avec une pièce de vers sur Marco Botzaris. En ce temps-là, tous les esprits et tous les cœurs étaient tournés vers la Grèce. Mais Juste Olivier abandonna bientôt ce thème de circonstance pour célébrer les gloires du pays vaudois sous l’inspiration du « génie du lieu. » N’est-ce pas Vigny qui a dit que la plus belle vie était celle de l’homme qui réalisait dans l’âge mûr le rêve de sa jeunesse ? À ce compte-là, Juste Olivier pourrait être cité comme modèle, car il vécut toute sa vie le rêve de ses vingt ans.


Un génie est caché dans tous les lieux que j’aime,
  1. Il n’en eut pas le temps, la mort l’ayant surpris le 7 janvier 1876.