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droits sur les produits d’alimentation, il pense avec son collègue que l’opinion publique n’est pas mûre. » C’est le mot de la fin.

L’opinion n’est pas mûre, mais M. Chamberlain va s’appliquer à la porter au point de maturité nécessaire à l’exécution de son grand dessein. On peut être sûr qu’il y apportera toute l’activité, toute la fougue, toute la force d’entraînement qui sont en lui ; mais son succès n’en reste pas moins très douteux. En attendant, on s’organise pour la lutte de part et d’autre, programme contre programme, ligue contre ligue. La Tariff Reform League de Birmingham a pris le nom, mieux approprié aux circonstances, d’Imperial Tariff Committee. La bataille va commencer : elle sera d’autant plus ardente que, d’après toutes les vraisemblances, les élections générales ne peuvent plus être très éloignées. Quand certaines questions ont été posées, les partis peuvent un temps les débattre, mais le pays seul peut les résoudre. De quelque façon qu’il s’y prenne pour compléter son ministère, M. Balfour aura d’ailleurs de la peine à lui donner une grande autorité. Le départ de M. Chamberlain change du tout au tout les conditions d’existence de son gouvernement. Si encore M. Chamberlain se retirait sous sa tente pour s’y recueillir ou s’y reposer, bien des gens seraient portés à croire que, privé de lui, le cabinet conservateur ne s’en porterait pas plus mal ; mais ses intentions sont tout autres. Il mettra d’autant plus d’énergie dans sa campagne d’agitation qu’à l’âge où il est déjà arrivé, c’est le reste de son existence politique qui est en cause. S’il réussit, l’Angleterre n’aura jamais eu un ministre plus puissant, et M. Balfour deviendra un petit compagnon à côté de lui. S’il échoue, sa carrière sera vraisemblablement finie, et il laissera dans l’histoire le souvenir d’un de ces hommes à grandes vues qui, ne sachant pas les exécuter, tombent victimes de leur propre imagination. Il gardera toutefois à son compte la guerre du Transvaal ; mais cette guerre est peut-être destinée à baisser dans l’estime des Anglais eux-mêmes. Et puis c’est là le passé, et pour un homme comme M. Chamberlain il n’y a que l’avenir qui compte. Être ou n’être pas, telle est la question qui se pose pour lui.

Quant à M. Balfour, il est fort possible que la fortune le favorise, s’il est vrai, comme le dit M. Chamberlain lui-même, qu’il y ait chez nos voisins un mouvement d’opinion dans le sens des tarifs de représailles, et cela n’a rien d’impossible. On a tellement dit et répété à l’Angleterre qu’elle se laisse duper par sa bonhomie libre-échangiste, qu’elle est capable de le croire et de faire, sur une échelle restreinte, l’essai d’un système compensateur. M. Balfour a montré de l’ingé-