Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se charger de graisse devient un trait véritablement distinctif de l’élément anatomique du foie, parce qu’il lui est exclusif. Qu’il me soit permis de dire que c’est ce qui arrive chez beaucoup de crustacés où MM. Dastre et Davenière ont montré que le foie était le seul tissu graisseux. La richesse extrême de cet organe, chez le homard, fait contraste avec l’extrême indigence de tous les autres : on en retire la moitié de son poids de graisse : l’ensemble de tous les autres tissus n’en fournit que des traces.

Pendant longtemps, les naturalistes n’ont pas accordé d’attention suffisante à cette particularité de l’histoire du foie. Dans ces dernières années seulement, elle est devenue l’objet d’études approfondies. Les physiologistes se sont préoccupés d’abord de savoir quelle était, chez les mammifères et chez l’homme, l’origine de cette surcharge graisseuse du foie : ils ont ensuite cherché à en préciser la signification, le rôle et l’utilité.

Les expériences très ingénieuses ont prouvé qu’une petite partie était formée sur place aux dépens des hydrates de carbone et des substances protéiques de la cellule hépatique, convenablement élaborés et remaniés ; et c’est là une opération de chimie synthétique fort intéressante.

Les bonnes gens savent que l’on engraisse les oies en les gavant surtout de maïs, c’est-à-dire de farineux : ils n’ignorent point que l’on voit des oiseaux migrateurs amaigris, affamés, s’engraisser en deux ou trois jours lorsque le hasard de leur course les amène au voisinage d’une sucrerie et qu’ils peuvent se repaître des déchets de la fabrication. Mais il ne manque pas de savans biologistes qui prétendent que le foie est incapable de s’engraisser de cette façon détournée et qu’il n’accepte que la graisse offerte en nature. Un expérimentateur russe, Lebedeff, en 1884 a soutenu que toute la graisse du foie était d’importation étrangère ; c’est encore, en 1903, l’avis d’un physiologiste italien, Cavazza. Ce qui est bien certain, c’est que le foie arrête au passage les graisses alimentaires. Rosenfeld, en 1893, Gilbert et Carnot, en 1902, dans des expériences qui sont une variante de celles de Magendie et de Claude Bernard, ont vu qu’une graisse caractéristique poussée vers le foie par la veine-porte ne passait pas outre et qu’elle s’y laissait reconnaître ensuite. Et, en résumé, si l’on ne peut refuser à l’élément du foie la faculté de fabriquer, au besoin de toutes pièces, un peu de substance adipeuse avec du sucre ou de l’albumine, il faut surtout lui reconnaître une aptitude remarquable à appréhender toute graisse qui passe à sa portée.