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surtout la résoudre isolément et qu’il faut l’envisager comme dépendante d’intérêts plus essentiels, c’est le second objet que nous nous proposerons dans ces quelques lignes.


I

De cette nécessité primordiale de ne pas isoler arbitrairement la question de Figuig et de ne la considérer qu’en fonction de nos intérêts au Maroc, sont sorties, en définitive, les difficultés dont la succession, depuis plus d’un demi-siècle, forme toute l’histoire des marches algéro-marocaines. On sait comment le gouvernement français et ses représentans à Tanger se sont trouvés, dès l’origine, en présence d’un texte, le traité de Lalla-Marnia, qui reconnaissait Figuig comme une oasis marocaine[1]. Peut-être aurions-nous pu, à l’époque où nos colonnes prirent contact avec les ksour du Sud et avec les tribus qui nomadisent dans la zone frontière, déclarer nul et non avenu un acte qui était entaché d’un vice originel parce qu’il y avait eu, de la part des Marocains, mauvaise foi, dol et tromperie[2]. Mais il est depuis longtemps trop tard pour réclamer l’abrogation d’une convention dont une longue tradition et une pratique de plus de cinquante années ont consacré, aux yeux de l’Europe, la validité ; trop tard aussi pour faire la distinction entre le pays soumis au Sultan et le pays insoumis, pour tracer la carte indécise et changeante du bled-el-maghzen et du bled-es-siba et pour considérer Figuig, au point de vue du droit international, comme indépendante, comme res nullius. Depuis longtemps, — on peut le regretter, mais il faut le reconnaître, — la diplomatie européenne a rendu définitive la fiction d’un empire aussi étendu que le sont, sur les cartes, les couleurs du Maroc.

Aussi bien, cette fiction, que nos représentans surtout ont contribué à accréditer, n’est-elle pas le résultat d’une pure inadvertance, d’un besoin de simplification et d’unification, ou du désir de faciliter les relations diplomatiques ; elle procède d’une vue, plus ou moins claire selon les hommes et selon les époques,

  1. On nous permettra de renvoyer, pour tout ce qui précède les événemens de 1902 et 1903, à l’article que nous avons publié ici même le 15 janvier 1902 : les Marches Sahariennes : autour de Figuig, Igli, le Touât.
  2. C’est M. Rouard de Card qui le remarque avec raison dans son intéressante brochure : la Frontière franco-marocaine et le protocole du 20 juillet 1901 (Pedone, 1902).