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Guizot, la fièvre du visage humain. » Elle donnait à dîner ; au sortir de table, les invités s’assemblaient auprès de son lit. C’est en réponse à une de ces invitations que fut écrit le dernier billet que nous possédions de Chateaubriand à Mme de Staël :

« J’avais oublié que je dîne demain chez la Duchesse d’Orléans. Veuillez donc me pardonner et fixer un autre jour. Comment vont les pieds et les mains ?

« FRANCIS.

« Samedi, 17 mai 1817. »


Deux mois plus tard, dans sa maison de la rue Neuve-des-Mathurins, où elle s’était fait transporter en quittant la rue Royale, le 14 juillet 1817, date d’un célèbre anniversaire, Mme de Staël expirait. Dans le dernier billet qu’elle avait écrit à Mme de Duras, « tracé en grandes lettres dérangées, » il y avait un mot affectueux pour Francis. Ce fut à Chateaubriand qu’elle dit, sur son lit de souffrance, ces mots qui la peignent tout entière : « J’ai toujours été la même, vive et triste ; j’ai aimé Dieu, mon père et la liberté. »

Chateaubriand apprit cette mort avec quelque mélancolie. C’était la disparition d’une grande et noble intelligence, opposée à la sienne, mais non pas ennemie. Avec elle s’évanouissaient aussi ses années de jeunesse, années de misère et de lutte, de gloire et d’amour, dont son âme avait oublié l’amertume, pour ne plus conserver que la douceur infinie du souvenir.


PAUL GAUTIER.