l’exil ; car, de nouveau, elle avait été contrainte de quitter la France. Elle avait envoyé son livre à Chateaubriand. Celui-ci n’avait pas attendu cet envoi pour lire l’ouvrage. Il écrivit à Mme de Staël une lettre de remerciement fort spirituelle, où passe, à travers les éloges, une pointe de fine raillerie. Ce qu’il aimait dans Corinne, c’était l’image de sa « belle Italie, » un peu effacée, il est vrai, et pâlie ; mais ce mélancolique et perplexe Oswald, qui court de sa femme à sa maîtresse et de sa maîtresse à sa femme, et ne sait prendre parti ni pour le mariage ni pour l’amour, — qui, après avoir épousé Lucile et fait mourir Corinne de désespoir, « donne l’exemple de la vie domestique la plus régulière et la plus pure, » devait paraître et parut en effet bien fade à René.
« Paris, ce 25 juin 1807.
« Je n’avais pas attendu, dear Lady, à recevoir de vous votre belle Italienne pour faire sa connaissance.
« Je suis charmé comme tout le monde, et cette fois-ci il n’y a eu qu’une opinion. Il n’y a que votre Oswald que je n’aime point du tout ; mais je n’en dis rien, car c’est le héros de toutes les bonnes têtes et des esprits raisonnables, et pour l’amour de l’ordre je dois me ranger du parti du mariage. Mais comment avez-vous donné le nom de ma sœur à votre bégueule de Lucile ? Tâchez dans la première édition de l’appeler Gertrude ou Cunégonde, or some thing like that.
« J’ai reconnu ma belle Italie. Oh ! que ne puis-je y finir mes jours ! Que je suis fatigué du pays que j’habite ! Je voudrais n’avoir plus d’études que celle des ruines, et de conversations qu’avec les morts ! Il me faut cinq ou six ans pour finir mon petit volume[1], si je l’achève : je ne suis nullement pressé de publier, et je crois qu’un honnête homme peut fort bien désormais attendre la mort pour dire tout ce qu’il pense à l’abri d’un tombeau bien fermé d’une grosse pierre. Tout ceci, dear Lady, est fort triste, mais songez que je viens de voir Argos, Sparte, Athènes, Jérusalem, Memphis, Cartilage, et que la vanité des
- ↑ L’Itinéraire de Paris à Jérusalem, qui parut en mars 1811.