Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diligence, à cette adresse : A Monsieur de chateaubriand, à Lyon, Hôtel de l’Europe.

« Cela est clair. Il faut de la promptitude dans l’exécution, pour que le paquet m’arrive avant mon départ pour la Bourgogne. Je consens, si vous y mettez du zèle, à ne jamais vous rembourser vos frais ; mais si vous me faites trop attendre mon miel et mon sucre, je vous payerai impitoyablement jusqu’au dernier sou.

« Adieu, écrivez-moi de suite, poste restante, à Lyon. Voilà un petit billet de Mme de Chateaubriand.

« Mille complimens à tous vos amis et les habitans de Coppet.

« Je pense que vous pourriez prendre de l’inquiétude sur le genre des affaires qui m’ont appelé à Lyon. Ce ne sont que de misérables considérations d’argent et des arrangemens de librairie. »


La lettre est charmante et d’un ton bien rare parmi toutes celles qu’il adresse à Mme de Staël : c’est le Chateaubriand spirituel et enjoué de certaines lettres à Joubert ou à Fontanes. Il a oublié l’attitude et la « pose. » Ce n’est pas pour longtemps, il est vrai ; quelques jours après, il recommence ses éternelles lamentations sur sa destinée misérable. Il était alors à Villeneuve-sur-Yonne, chez Joubert, où il menait une vie fort paisible. Mme de Staël, qui se proposait de revenir en France, le consultait pour savoir quelle ville il conviendrait de choisir comme résidence ; elle hésitait entre Sens et Rouen ; cette dernière ville lui semblait préférable, parce qu’elle offrait plus de ressources pour l’éducation de ses enfans. Chateaubriand s’étonnait, au fond, de ce grand désir de revoir la France. L’émigré, mécontent de son sort, aigri contre ses concitoyens, eût fort bien vécu à l’étranger quelques années encore ; Rome surtout l’attirait, il avait la nostalgie de la Ville éternelle. Place d’Espagne, sous le mont Pincio, était une maison solitaire, avec un petit jardin planté d’orangers, un figuier dans la cour : là errait l’ombre de Pauline de Beaumont.


A Madame de Staël à Coppet, par Genève. — Léman.

« Je n’ai pu vous remercier à Lyon de votre miel et de votre sucre, il est arrivé au moment où je montais en voiture. Maintenant que je suis établi chez mon ancien ami Joubert, à Villeneuve-sur-Yonne, je me hâte de vous écrire.