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dire, elle s’ennuyait à Rome ; elle y cherchait la vie et n’y trouvait que la mort : « Désirer, agir, respirer, écrivait-elle le 30 mars au poète Monti, est presque impossible au milieu de toutes les ruines des espérances et des efforts humains ; je ne m’établirai donc point à Rome… Je m’en irai donc sans un vif regret. »

Cette même année 1805, Chateaubriand revit Mme de Staël. Il faisait alors un voyage au Mont-Blanc avec Mme de Chateaubriand. Il passa par Genève et fit visite à son amie à Coppet. « Je la trouvai seule, dit-il, au fond de son château qui renfermait une cour attristée[1]. » Chateaubriand s’étonna, avec peu de tact, de son malheur ; il enviait ce séjour, cette vie large et fastueuse. Il blessa le cœur de Mme de Staël. Mieux inspiré, il a dit plus tard : « Ne disputons à personne ses souffrances, il en est des douleurs comme des patries ; chacun a la sienne. » Le lendemain, Mme de Staël visita Mme de Chateaubriand à Genève, insista pour qu’à son retour de Chamounix, elle vînt avec son mari passer quelques jours à Coppet. Elle eût été bien aise d’accaparer Chateaubriand, de l’entraîner dans son orbite. M. et Mme de Chateaubriand promirent, puis oublièrent cette promesse ; ils revinrent directement à Lyon, sans s’arrêter à Coppet. Mme de Staël fut très désappointée ; elle avait escompté la venue de Chateaubriand ; elle pensait l’enrôler parmi ses troupes, le dresser à la guerre contre son ennemi, Napoléon. Mme de Chateaubriand prétend malicieusement qu’elle avait écrit d’avance à Paris « les conversations présumées qu’elle avait eues avec M. de Chateaubriand et dans lesquelles elle l’avait, disait-elle, converti à ses opinions politiques. » Ce qui était fort clair, c’est que Mme de Staël avait tenté de mettre la main sur Chateaubriand et qu’au dernier moment celui-ci, pris de méfiance, s’était esquivé. D’ailleurs, il était de belle humeur ; le voyage, les distractions de la route avaient dissipé ses noires idées, et c’est d’un ton enjoué qu’il écrit de Lyon à Mme de Staël :


Madame de Staël, à Coppet, par Genève. Léman.

« Lyon, le 1er septembre 1803. « Tout n’est que contrariétés dans la vie, ma chère madame ; je voulais vous voir à Copet ; j’y comptais, je l’espérais, je le désirais vivement. Eh bien, je suis parti de Genève subitement, sans

  1. Mémoires d’Outre-Tombe, II, p. 480.