« Vous verrez par la fin de ma longue lettre que j’étais déterminé à envoyer ma démission ; mais on me retient à présent, on croit racheter par des caresses les maux dont on m’a d’abord rassasié. On se trompe. Je me soumets à la nécessité, mais aussitôt que je pourrai avoir un asyle sur la terre !… Comment se fait-il que je sois à la sixième édition de mon ouvrage (en comptant l’édition in-8o, gravures après la lettre, que l’on fait maintenant à Paris, in-18 que Ballanche fait à Lyon) et que je n’aie pas encore de pain assuré ? Un asyle, j’en avais un ; maintenant toute ma joie est un tombeau que je fais élever, et pour lequel je vends le peu de chose qui me restait en ce monde. Vous reverrai-je au printemps ? Vous reverrai-je jamais ? Si Mme de Beaumont vous eût fait cette question, lorsque vous quittâtes Paris, n’auriez-vous pas repoussé bien loin le doute ? Eh bien, jugez-en. Adieu, jouissez de votre fortune, de votre réputation, de vos amis. J’ai été du nombre de ces derniers, mais vous m’avez oublié depuis longtemps.
« Si vous n’avez pas encore reçu de Coppet le récit de la mort de notre amie, vous pourriez vous le procurer, soit chez Mme de Vintimille, ou chez Mme Hocquart. »
Ces deux lettres nous peignent au naturel l’état d’esprit de Chateaubriand. Voilà bien cette profonde mélancolie, cette douleur sincère, qui n’est pas dénuée cependant d’affectation et de pose, et où perce l’inconsciente vanité de l’homme de lettres et de l’artiste. Il jouit en poète de sa douleur ; il l’exhale dans ces pages célèbres, dont il envoie soigneusement copie à chacun de ses amis, à M. de la Luzerne, beau-frère de Pauline, à Chênedollé, à Fontanes, à Joubert, à Mme de Vintimille, à Mme Hocquart, à Mme de Staël ; il invite celle-ci à réclamer cette relation, qu’il a adressée à Coppet ; il serait fâché qu’elle fût perdue. Il se préoccupe même du ridicule et supplie Mme de Staël de ne se moquer ni des prêtres, ni de la religion. Il n’oublie pas le « petit monument, » qu’il fait élever à l’infortunée Pauline, et pour lequel il nous apprend lui-même qu’il vend « le peu de chose » qui lui reste ; il l’écrit à Mme de Staël, il l’écrit à Gueneau de Mussy. Il dépeint en ces termes le futur monument dans la lettre à M. de la Luzerne : « Une jeune femme couchée sur son lit montrera d’une main les portraits de la famille ; elle aura l’air d’exhaler elle-même son dernier soupir ; et on lira sous les