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On sait que Chateaubriand ne s’embarqua pas pour la Louisiane ; en réalité, il n’y pensait guère. Le 14 floréal an XI, il était enfin nommé secrétaire de légation à l’ambassade de France à Rome. Ce n’était pas tout à fait le poste que son ambition eût souhaité ; mais enfin, sur les instances de l’abbé Emery, directeur de Saint-Sulpice, et de son ami Fontanes, il partit. On connaît l’histoire de ses démêlés avec le cardinal Fesch, ses prétentions à supplanter l’ambassadeur, l’irritation du Premier Consul. Mme de Beaumont mourante, après avoir cherché en vain la santé au Mont-Dore, s’était décidée, malgré les instances de leurs amis communs, à le rejoindre à Rome. Fontanes était désolé ; les ennemis de Chateaubriand glosaient sur l’aventure ; on savait que l’auteur du Génie du Christianisme avait quitté la France en partie par crainte d’une réconciliation avec Mme de Chateaubriand[1]. Le 4 novembre 1803, Mme de Beaumont mourait à Rome. Le 9 novembre, Chateaubriand envoyait à Coppet, à Mme de Staël, une copie de la célèbre relation, qu’il adressait en même temps à tous ses amis. Mais Mme de Staël avait quitté Coppet, elle était alors depuis le mois de septembre à Mafliers, à quelques lieues de Paris. Le 24 novembre, Chateaubriand recevait d’elle une lettre, qui prouvait qu’elle ignorait la mort de Pauline. Inquiet, il lui écrit de nouveau. Voici les deux lettres de Chateaubriand :


« Rome, le 9 novembre 1803.

« Quel triste sujet, madame, vient renouer notre correspondance ; elle est morte à Rome dans mes bras, le 4 du courant, à 3 heures et 8 minutes de l’après-midi. Je vous envoie la copie de la relation que j’adresse par le même courrier à M. de la Luzerne. S’il y est beaucoup question de prêtres et de religion, j’espère que vous n’aurez pas la cruauté de plaisanter dans de pareilles circonstances, il vous faut songer que j’ai écrit à la hâte dans le trouble et dans les larmes, et que pour tout l’univers, je ne voudrais pas qu’on m’enlevât l’espoir de retrouver un jour mon amie. Me voilà encore une fois seul sur la terre ; c’est pour la troisième fois que la mort me prive des personnes qui m’étaient chères. Il faut donc suivre cet avertissement de la Providence, et renoncer à tant de vains projets et à un monde qui

  1. Chateaubriand l’avoue lui-même dans une lettre à Fontanes : la crainte de se réunir à elle l’avait « jeté, disait-il, une deuxième fois hors de sa patrie. »