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Necker avec tant de dureté, l’année précédente. Fiévée fut, cette fois, plus violent encore ; insupportable « commère, » « intrigante, » « égoïste exaltée, » « sans-patrie, » telles étaient les douceurs qu’il prodiguait à Mme de Staël ; quant à son livre, ce n’était qu’une œuvre immorale, qui ne pouvait séduire que des esprits mal faits et des cœurs corrompus[1]. Chateaubriand essaya de réparer le fâcheux effet des attaques de Fiévée ; il craignait que Mme de Staël ne l’accusât de tiédeur envers elle, il lui savait gré de ses éloges. Le 8 janvier, à propos du livre de Bonald sur la Législation primitive, il citait dans le Mercure une page éloquente du Cours de morale religieuse de Necker, et, dans une note, il rendait un éclatant hommage aux qualités d’esprit et de cœur de Mme de Staël : « Du moins, disait-il, elle a donné (dans Delphine) de nouvelles preuves de cet esprit distingué et de cette imagination brillante, que nous nous sommes plu à reconnaître. Et quoiqu’elle essaye de faire valoir des opinions qui glacent et dessèchent le cœur, on sent percer dans tout son ouvrage cette bonté que les systèmes philosophiques n’ont pu altérer, et cette générosité que les malheureux n’ont jamais réclamée en vain. » C’était noblement payer sa dette de reconnaissance à l’exilée ; Chateaubriand ne put attendre que Mme de Staël lût le Mercure. L’article était du 8 janvier ; le même jour, son auteur écrivait à Coppet pour se vanter du procédé généreux, se plaindre du silence de Mme de Staël :

A Madame de Staël, à Coppet, par Genève, Léman.

« Paris, 8 janvier 1803. Rue Saint-Honoré, n° 85, près la rue Neuve-du-Luxembourg.

« Je devrais garder le silence. Je vous ai écrit une longue lettre sur l’ouvrage de M. votre père, vous me répondez une longue lettre, en évitant de me parler de cet ouvrage ; je vous écris deux mots tout de cœur en recevant votre roman, vous ne daignez pas me répondre un mot. Je sais qu’on dit beaucoup de mal de moi à Coppet ; cependant je crois avoir toujours parlé honorablement de vous et de votre famille. On se déchaîne contre vous, on vous insulte parce que vous êtes malheureuse ; je trouve occasion de rappeler M. Necker en citant un passage très

  1. Mercure de France, 11 nivôse-1er janvier 1803.