dans le Mercure l’extrait du livre. Mais Chateaubriand se souvient fort à propos qu’elle a refusé, l’année précédente, de rendre compte du Génie du Christianisme. Il lui répond en ces termes :
« Le 21 frimaire-12 décembre 1802.
« J’ai reçu votre dernière lettre (adressée à Paris) à Marseille. Je vous remercie de l’intérêt que vous prenez à mes intérêts. Si vous aviez la bonté de me faire passer le nom et l’adresse du libraire qui désire quelques exemplaires de mon ouvrage, je vous en serais très obligé.
« Votre livre va paraître, vous allez être exposée à un violent orage. Vous m’avez ôté le moyen de vous servir efficacement en refusant de faire l’extrait de mon livre l’année dernière dans la Bibliothèque de Pougens. Vous sentez qu’après cela je ne puis parler de votre roman dans le Mercure. Je tremble que vous tombiez entre des mains ennemies, qui chercheront à vous blesser de toutes les manières. Je vais faire tous mes efforts pour prévenir le malheur. Mais si mon zèle est grand, mon crédit est peu de chose, et je crains bien que la haine et l’esprit de parti l’emportent sur la chaleur de l’amitié. Je vous écris ceci à la hâte, en descendant de voiture, et brisé par un voyage de plus de 600 lieues. Vous verrez ici l’expression fidèle de mes sentimens pour vous, et quoi qu’on puisse vous dire sur ma perfidie et mon caractère ( ? ) dangereux, croyez que je suis le plus franc et le plus reconnaissant des hommes.
« Je rouvre ma lettre pour vous dire qu’Eugène m’apporte votre livre. Je jette les yeux sur la préface et j’y suis nommé[1]. Nouvel empêchement à l’extrait. Vous êtes une cruelle femme de me ravir le bonheur de vous être utile. Je vous écrirai bientôt. »
Ces « mains ennemies, » que Chateaubriand redoutait pour Delphine, c’étaient celles de ce même Fiévée, qui avait critiqué
- ↑ « On a dit que ce qui avait surtout contribué à la splendeur de la littérature du XVIIE siècle, c’étaient les opinions religieuses d’alors, et qu’aucun ouvrage d’imagination ne pourrait être distingué sans les mêmes croyances. Un ouvrage, dont ses adversaires mêmes doivent admirer l’imagination originale, extraordinaire, éclatante, le « Génie du Christianisme, » a fortement soutenu ce système littéraire. » (Préface de Delphine.)