Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de parti, de coterie : il n’y a plus d’honorable que le repos et l’obscurité.

« Du reste on ne m’envoie point à Rome, parce que l’archevêque de Lyon[1]n’y va pas, et que mes destinées étaient attachées aux siennes. Je balance entre une retraite absolue au fond de quelque province, ou une nouvelle expatriation.

« Je compte quitter Paris dans un mois, et Dieu sait quand j’y reviendrai, terris jactatus et alto.

« Voilà une bien longue lettre ; j’ai voulu la proportionner à mon silence, vous trouverez peut-être que j’ai passé la mesure. Mille tendres complimens.


« Veuillez présenter mes respects à Mme Necker et à Mme de Krudener. Je voudrais bien savoir l’adresse de celle-ci[2]. »

Chateaubriand était-il aussi découragé qu’il prétend l’être ? Une « retraite absolue » au fond d’une province, une « nouvelle expatriation, » tel était l’avenir qui s’offrait à lui ! En réalité, son détachement des choses de ce monde ne l’empêchait pas d’insister de la façon la plus pressante auprès du Premier Consul pour se faire envoyer à Rome. Il écrivait à Fontanes, quand parut le Génie du Christianisme : « Protégez-moi hardiment, mon cher enfant. Songez que vous pouvez m’envoyer à Rome. C’est aujourd’hui que Mme B. (Bacciochi) présente l’ouvrage au Premier Consul. » Le 9 septembre 1802, il insistait en ces termes : « Et le jeune homme (Bonaparte) ne songe point à moi ?… La Grande voyageuse (Mme Bacciochi), comment est-elle ? Je ne sais si elle a reçu ma lettre… » Le 23 septembre, nouvelle lettre à Fontanes ; il l’invite à réunir et à publier en volume les articles qu’il a écrits sur le Génie du Christianisme. Le 28, il écrit au pape en personne, il dépose son ouvrage à ses « pieds sacrés[3]. » Bref, il ne donne nullement l’impression d’un homme qui s’abandonne à sa triste destinée ; mais il fait tout pour en sortir.

Au mois d’octobre, il part en voyage pour le midi de la France. A Avignon, il saisit des contrefaçons d’Atala et du Génie du Christianisme. A Marseille, il reçoit une lettre de Mme de Staël qui lui offre ses bons offices pour son livre. Elle-même va bientôt publier Delphine ; elle souhaiterait que Chateaubriand fit

  1. Cardinal Fesch.
  2. Pour lui envoyer son livre.
  3. Mémoires d’Outre-Tombe, édit. Biré, II, 346.