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de plus touchant que cette voix qui sort de la tombe. Quand M. Necker dit : « C’était même pour un temps au-delà de moi, que je destinais cet ouvrage en le commençant. Ce confident me plaisait, il m’était inconnu, et je pouvais, en imagination, le faire mon ami ; » je vous avoue que cela me touche jusqu’aux larmes. Hélas, ma chère madame, voilà ce que c’est que la vie et la renommée. Lorsque je pense que de tant d’hommes, qui se haïssent mortellement aujourd’hui, pas un peut-être n’existera dans cinquante ans ; que nous serons remplacés par une postérité qui n’aura rien d’égal à son indifférence pour nous, que le néant profond dans lequel nous serons tombés ; je ne saurais croire que le christianisme a trop exagéré les vanités des affaires humaines. Je vous dirai en employant la belle expression de M. votre père : « Ce sont là de lugubres vérités, mais qui résistent à toutes les flatteries. »

« On a critiqué M. Necker sur ce qui est véritablement admirable dans son livre. On voudrait qu’il eût traité la partie technique et non le côté moral des finances. Eh ! bon Dieu, il s’agit bien à présent de savoir comment on lèvera l’impôt ! Rendez des mœurs au gouvernement, et le crédit viendra ensuite. Il y a de la noblesse et de l’élévation de caractère dans M. Necker à avoir agité la question de la succession et de la monarchie ; ses conclusions ne seraient pas les miennes ; mais j’admire son courage.

« Quand aurons-nous votre ouvrage[1] ? On l’attend avec une vive impatience. On dit qu’il se préparait une foule de romans, qui sont tous suspendus par la crainte du vôtre : où le maître paraît, les écoliers se retirent. Vous me demandez ce que je fais ? Rien.

« J’ai seulement corrigé mon gros livre, On va en donner quatre éditions nouvelles à la fois. Il y en a depuis six francs jusqu’à quatre louis. Girodet et Chaudet ont fait une partie des dessins de l’in-4°. A force d’être critiqué, loué, porté aux nues ou traîné dans la boue, je suis devenu insensible à tout, hors au peu de bien que ce malheureux ouvrage a pu faire ! On m’a communiqué des lettres de l’étranger où l’indulgence pour moi est portée au comble. J’avoue que c’est le seul suffrage auquel j’attache encore quelque prix. Ici tout est bassesse, cabale, esprit

  1. Delphine.