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grossièrement un homme, qui n’est pas un grand génie sans doute, mais qu’on doit respecter, par cela seul qu’il est malheureux. » Cependant la mauvaise foi de ses ennemis lui reprochait ce passage, et, loin de l’accuser, Mme de Staël avait dû prendre sa défense. C’est ce qu’elle écrivit à Chateaubriand, qui l’en remercie en ces termes :


A Madame de Staël, à Coppet par Genève.

« 27 prairial[1].

« Je suis très touché, madame, de l’explication dans laquelle vous avez bien voulu entrer. Cela n’en valait pas la peine. Je prendrai seulement la liberté de remarquer que l’épithète de scélérat, sur laquelle vous m’aviez défendu, est non seulement expliquée dans ma préface, mais qu’elle n’est pas même employée dans le sens politique dans l’ouvrage. Ce n’est qu’une apostrophe ironique que je fais aux Américains. Il suffit de lire le passage pour se convaincre de la vérité du fait. Loin de vouloir dire une injure, il est certain que j’ai fait un éloge. Et voilà, madame, comment on cite et comment on calomnie. Mais je devrais peu m’étonner de cela.

« Rien de nouveau dans cette grande ville où je suis pour solliciter mon affaire, dont je ne me soucie plus[2]. Au reste, la satire de M. Chénier vient de paraître[3].

« On pourrait peut-être trouver qu’elle manque un peu de verve et de gaieté, et qu’elle est composée de réminiscences de Voltaire, mais elle est d’un style pur, les vers me semblent bien faits. Le morceau en prose et en vers qui me regarde personnellement est d’une grande sévérité, quoique fort juste. On y dit que je copie M. de Saint-Pierre ; que je suis ennuyeux et, bizarre ; que comparer Atala à Paul et Virginie, c’est comparer le barbouillage d’un écolier au chef-d’œuvre d’un grand maître[4]. Je

  1. 16 juin 1801.
  2. La radiation.
  3. La satire intitulée Les Nouveaux Saints.
  4. « Assurément, — dit Chénier, — c’était comparer la première esquisse d’un écolier aux meilleurs tableaux d’un grand maître. On ne trouve, dans ces deux productions pleines de charme (Paul et Virginie, la Chaumière indienne), rien qui ressemble aux capucinades de M. Aubry, aux étranges amours de Chactas, à une foule d’expressions plus étranges encore et à des amplifications descriptives d’un sauvage qui a fait sa rhétorique. »