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geshas du Japon, la grâce dégourdie, la repartie prompte, le rire clair. Si près de la Chine invariable où la femme a désappris de marcher, si près de l’Inde hiératique où l’inflexible coutume la séquestre dans le demi-jour des vérandahs grillées, on est ravi de l’aisance de ces Birmanes ; c’est la spirituelle légèreté des Tanagras, une coquetterie de fées à se parer. Exquises : quand on les a vues, l’épithète ne semble faite que pour elles. Avec art elles piquent une fleur dans le jais de leur chignon, et c’est la petite touche parfaitement juste de couleur dont s’achève leur parure. Rose, jaune ou blanche, elle vient en répéter le ton, en préciser l’idée qui est de faire penser à telle fleur.

Pudeur de leur menue démarche maniérée. Visiblement leurs genoux un peu plies ont peur de laisser échapper le bord du pagne qui leur serre la poitrine sous les bras et les enveloppe jusqu’aux pieds. Les gracieux petits pas traînans dans ce clair fourreau qui s’évase un peu par le bas et se répand sinueusement à terre ! Et puis les jolies salutations, les gestes fins pour tendre un bibelot, une pierre porte-bonheur, un ridicule singe de bois comme en achètent, on ne sait pourquoi, les grandes personnes birmanes ! Et les rires, aussi, le si visible désir de causer, caqueter, bien plutôt que de vendre, chacune criant son nom, et quels noms ! « Mah-Khin » (Mademoiselle Aimable), « Mali Nay-Kom » (Mademoiselle Rayon de soleil), « Mah-Moay » (Mademoiselle Parfumée). Et devant notre pesante ignorance de la langue, les gracieuses moues désappointées !


Mais à la porte de cette volière, en plein soleil de l’avenue, la vue d’un groupe de femmes hindoues frappe comme un coup de gong. Vert, rouge, jaune, orange enflammé : quel choc strident sur la rétine ! On ne voit d’abord que ces quatre couleurs simples, chacune debout, marchant dans la rue, jetant ses feux, ses remous, ses éclaboussures au soleil de dix heures. Vert de perroquet, rouge de rubis, jaune de safran, orange d’orange : la pulsation des tons est telle qu’on la sent passer et battre en soi, et d’abord, on ne perçoit pas autre chose. Quatre paquets éblouissans comme le ciel de l’Inde ! En effet, pesamment, de la tête aux pieds, ces femmes sont tout enveloppées. Le voile, posé sur la courbe de la tête, enferme le visage dans sa chaude ombre colorée, coule sur le mamillaire, sur les coudes, sur le bas de la lourde robe.