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vivante encore. Les cheveux, le chignon, sont de soie noire, ne semblent pas humains. La taille ballonnante, simulant une grossesse avancée, elle minaude, jette de petits cris pointus. Oh ! les sourires enfantins de sa physionomie niaise, les gestes brefs et réticens de la main qui se dresse sans que le bras se relève, les attitudes cérémonieuses et gênées, les pas coquets et si gauches, perchée qu’elle est sur ses moignons de pieds, sur ses moignons emmaillotés, comme sur de menus sabots de biche. Au son d’un crin-crin, des voix glapissent dans des registres suraigus, enroulent et déroulent une gamme de cinq notes : les cinq notes que sonneraient les seules touches noires de piano. La populace s’esclaffe aux gestes obscènes des acteurs. Là-haut, sous l’imperceptible souffle qui réveille la nuit, les palmes noires, ranimées aussi, se mettent à respirer, ondoient, tâtonnent comme des tentacules.


L’espace vide, le silence autour d’un grand temple, nous ont arrêté. Un édifice religieux, c’est toujours un centre de vie pour un peuple. Quelque chose de son essence semble y devenir visible. Celui-ci très bas, très large, s’enveloppait de solitude et d’obscurité, — auguste après tant de chandelles et de grouillement.

On ne voyait d’abord que les courbes extraordinaires de ses toits : sur un corps massif deux paires d’ailes éployées l’une au-dessus de l’autre et tranchant l’espace nocturne, deux concavités de grand diamètre superbement ouvertes sur le ciel, chacune portée par un tronc de triangle renversé, la plus large étant la plus basse, l’une et l’autre finissant en pointes acérées de croissant. De ces toits les faïences jetaient sous les étoiles de vagues reflets ; on les devinait, ces faïences, imbriquées comme des écailles, comme des pennes, mais ordonnées et conduites par l’admirable ligne arquée du faîte, sorte de nervure qui filant des deux côtés, toute simple, jusque par-delà l’angle courbe de chaque extrémité le prolongeait en flèche élancée dans l’espace. À ces deux pointes, de blanches cigognes se dessinaient, tout élégantes, contournées, sinueusement raffinées, révélées seulement à leurs vagues lueurs de porcelaine, purs oiseaux de rêve, irréels et sans poids, flottant aux cornes de la bête étrange, du monstre trapu qu’est ce temple chinois.

Au-dessous de ces toitures, de grandes lanternes jetaient, sur les murs de l’édifice bas la rouge lueur de leur papier. Des