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comme en présente tout l’Orient classique. Des masques sans dessous, plates surfaces, tout imberbes, puériles, inexpressives comme leurs voix de fausset. Ils encombrent les rues, le pas des portes, les magasins où les blouses de soie, les robes, les drogues, les conserves chinoises s’entassent à côté des produits de Birmingham et de Dusseldorf.

Aussi semblables que les hommes, ces magasins : alignemens de grandes boîtes carrées dont un côté manque. J’en visite plusieurs : dans tous la même odeur d’encens, de thé et de santal, des kakémonos fanés, un « autel des ancêtres » drapé de soies bleues et or, avec poussahs à barbiches, dragons et cigognes, brûle-parfums de bronze, sombres vases pansus, — et par devant, la famille, les jaunes pantins, fumant leurs longues pipettes d’acier et de bois, quelques-uns allongés en des chaises longues après le travail de la journée, l’éventail en main, ou bien rangeant, empaquetant toujours leurs marchandises. Et l’éternel décor chinois : potiches de porcelaines, paravens où des oiseaux s’envolent dans de grêles feuillages. Nul effort pour enjôler le client de rencontre, nulle simagrée d’empressement qui rappelle l’obséquieux bavardage à l’idée d’une aubaine des marchands hindous. On devine de vrais hommes d’affaires, commerçans réguliers, sûrs du débit de leurs marchandises. Parfois, très rarement, une femme, et bien plus étrange que les hommes, suggérant bien mieux l’inimaginable passé de leur race, car, même en Orient où toute vie est soumise à la tradition, la femme est plus spécialement son esclave. Toute l’immobilité de la Chine est dans ces Chinoises, prêtresses des coutumes invariables et quasi rituelles. Du rite, il y en a, et du mystère aussi dans cet enveloppement pesant et somptueux qui ne laisse paraître que le bout des doigts et le cercle lunaire de la face. Ces grands plis si graves font ces rigides attitudes ; ils ne doivent pas être dérangés ; ils sont religieux, vraiment, comme la nocturne lueur bleue de ces soies dont les bordures se superposent en lames claires. Lourdes manches qui tombent jusqu’à terre, en cornets renversés ; sombres pantalons de soie dont le bas déborde des tuniques précieuses ; sourd éclat des bijoux de laque et d’or qu’on croirait posés par une main dévote sur une idole, tant est minutieuse la perfection de tout cet arrangement ; gaucherie sur un coussin des petits pieds blessés ; visages inanimés sous les deux plaques d’ébène des cheveux, masques d’émail, masques