en batterie sur la grande terrasse et dont les feux croisés avec ceux d’Apremont et de Bellegarde barreront la route qui va de Chapareillan à Chambéry.
Mais, ces dispositions militaires ne sauraient décourager les espérances qu’elles cachent dans leur cœur. Elles n’ignorent pas que la bourgeoisie de Savoie ainsi que les avocats, de plus en plus irrités par les vexations des fonctionnaires et officiers piémontais, qui traitent comme « des êtres vils et dégradés » les Savoyards roturiers, sont prêts à se prononcer pour la France. Elles savent que les habitans des campagnes, en dépit des efforts du clergé et des émigrés, céderont à l’irrésistible mouvement qui pousse vers elle la grande majorité des citoyens des villes. Elles restent donc convaincues que les vœux qu’elles forment seront exaucés et qu’avant peu, la république sera proclamée dans la Savoie devenue française.
Peut-être même se réjouissent-elles d’être placées aux premières loges pour bien voir et ne rien perdre de ce qui va s’accomplir. Mais, à l’improviste, elles sont contraintes de renoncer à la joie qu’elles se promettaient du spectacle qui se prépare. Dans le courant de septembre, le colonel de Bellegarde, venu au château des Marches pour quelques heures, leur signifie qu’elles n’y peuvent rester et qu’il faut partir. Les Marches sont devenues une place forte. Il est à craindre qu’elles ne soient le théâtre de sanglans combats. Il ne veut pas exposer sa femme et sa belle-sœur aux outrages de ces Français, desquels, victorieux ou vaincus, on peut appréhender toutes les violences et tous les excès.
Du reste, au même moment, les émigrés qu’hier encore on voyait, impertinens et arrogans, fouler en maîtres les pavés de Chambéry, quittent en masse cette ville. Sur la route tracée au pied de la chaîne des Bauges, on peut suivre la longue file des voitures qui emportent les uns vers la Suisse, les autres vers le Piémont. Ils entraînent avec eux la presque-totalité des nobles familles savoyardes. Tout ce qui n’est pas retenu par le devoir militaire, les vieillards, les femmes, les enfans, imite leur exemple, sous les yeux irrités et railleurs des nombreux partisans de la France qui, dans cet exode, et malgré les préparatifs de défense auxquels se livrent fiévreusement les autorités piémontaises, voient le présage de sa prochaine victoire.
Mme et Mlle de Bellegarde quittent les Marches, à regret. Après un rapide séjour à Chambéry, elles se remettent en chemin,