guère possible de préciser laquelle a commencé, si c’est l’influence d’Adèle qui s’est exercée d’abord sur Aurore ou celle d’Aurore sur Adèle. Le fait même que celle-ci est l’aînée ne constitue à cet égard ni une preuve ni un éclaircissement. A étudier les deux sœurs dans la suite de leur existence, on arrive à cette conviction que si la cadette n’égalait pas l’aînée en beauté et en charme, elle possédait, tant au point de vue de l’esprit qu’au point de vue du cœur, une valeur plus grande. Peut-être non moins facile à entraîner sans se laisser arrêter, quand ses passions sont en jeu, par les considérations morales, elle révèle cependant un sens plus pratique de la vie, une promptitude de décision et, ajoutons-le aussi, une générosité de sentimens que la conduite d’Adèle envers ses enfans ne permet pas de lui accorder.
Et il est non moins vrai que, dans leurs rapports quotidiens, c’est Aurore qui prodigue le plus de dévouemens, elle aussi qui méritera que sa sœur en rédigeant, le 12 décembre 1826, ses dispositions testamentaires alors qu’elle avait depuis longtemps renoncé à Satan, à ses pompes, à ses œuvres, lui exprime sa reconnaissance en ces termes : « Jamais je ne pourrai rendre à ma sœur ce que je lui dois en ce monde. Dieu la récompensera de tout le bien que son indulgente amitié m’a fait, de toute sa générosité à mon égard, de sa patience, de sa bonté. J’ajoute à cette reconnaissance le don de tout ce dont je puis disposer. »
Tel était l’état d’âme des habitantes du château des Marches, au moment où la présence des émigrés en Savoie et la conduite imprudente de la cour de Turin attisaient contre le Piémont les colères de l’assemblée législative de France. On voit alors, dans le conflit qui se prépare, les deux sœurs prendre parti, non pour la maison de Savoie menacée dans cette province, mais pour ces Français qui allaient prononcer la déchéance de leur souverain, l’emprisonner avec sa famille, et proclamer la république.
L’éducation monarchique de ces jeunes femmes et les préjugés de caste qu’on doit leur supposer ne les empêchent pas de souhaiter le succès des doctrines nouvelles auxquelles une active propagande et de fougueux écrits ont ouvert déjà la Savoie en attendant que la fortune des armes les y fasse triompher. Sous leur enveloppe de Savoyardes, une âme française se révèle, celle peut-être des aïeux français que leur ont donnés des alliances de famille. Elles applaudissent aux conquêtes successives de la Révolution, sans se laisser effrayer par les crimes qu’elle a commis,