Mme de Noailles dans l’atelier du peintre David, au moment où il achevait son fameux Enlèvement des Sabines, l’impressionnait à ce point, qu’il lui demandait de poser pour l’une des figures de son tableau et qu’il retouchait d’après elle la tête d’Hersilie, la femme qu’on voit agenouillée au milieu des ravisseurs[1]. En dépit de son jeune âge, son père songeait à la marier. Quoique convaincu que, belle et largement dotée, les prétendans ne lui manqueraient pas, il avait choisi l’homme qu’il lui donnerait pour époux. Il l’avait choisi dans sa propre famille. C’était le fils d’un de ses frères.
Celui-ci, Jean-François de Bellegarde, général d’infanterie dans le royaume de Saxe et ministre de la Guerre, avait épousé à Dresde Antonia de Hardick, décédée avant lui. Il en avait eu deux fils devenus orphelins par sa mort, en 1769, au moment où l’aîné, Frédéric, entrait dans sa dix-septième aunée, le cadet, Henri, dans sa quinzième. On leur avait donné pour tuteur un ami de leur père, le général de Farell. Ils étaient déjà dans l’armée saxonne au titre honoraire. Frédéric, appelé le premier à l’activité, était promptement parvenu au grade de capitaine et même fortune semblait promise à son frère passé au service de l’Autriche[2]. En 1774, lui-même, abandonnant la Saxe, s’était engagé en Piémont, appelé sans doute à cette résolution par le désir de se rapprocher des Bellegarde fixés en Savoie. En 1786, on le trouve établi à Chambéry, comme chef de bataillon dans la légion dite des campemens. Il possédait dans la ville assez de notoriété pour s’être fait élire membre du Conseil municipal. Il frayait avec les plus nobles familles ; il était le commensal de celle de son oncle, le comte de Bellegarde dont, à Chambéry comme aux Marches, la maison lui restait toujours ouverte.
Il avait vu grandir Adèle, sa jeune beauté revêtir peu à peu plus d’éclat, et depuis longtemps, il nourrissait le projet d’eu faire sa femme. Il ne se laissa effrayer ni par sa beauté ni par la différence d’âge qui existait entre eux. Qu’il eût vingt ans de plus qu’elle et qu’il fut menacé d’être un vieillard avant qu’elle eût perdu tous les attraits de la jeunesse ; qu’il s’exposât à ne
- ↑ Voir le livre de Delécluse sur Louis David. Il raconte la visite des dames de Bellegarde dans l’atelier du peintre. Il ne dit pas qui est la Mme de Noailles, leur amie, qui les y conduisit. Il y avait alors à Paris trois dames de Noailles, l’une née Lecouteulx, l’autre née de Sainte-Afrique, la troisième née d’Hallencourt de Dromesnil. Je n’ai pu découvrir à laquelle des trois Delécluse a fait allusion.
- ↑ Il y devint feld-maréchal et prit part à toutes les guerres contre la France.