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III

Ayant acquis la conviction qu’une armée n’est réellement puissante et capable de vaincre qu’autant qu’elle peut s’appuyer sur la confiance et sur le respect de la nation dont elle est chargée de garantir la sécurité, quelques-uns des grands mandarins qui sont à la tête du mouvement progressiste, n’ont pas hésité à proclamer, comme première condition du relèvement de l’armée chinoise, la nécessité de remettre d’abord en honneur la profession des armes. Ils ajoutent que le plus sûr moyen d’opérer ce revirement dans l’opinion publique est d’exiger que, désormais, les officiers soient à la hauteur de la mission qui leur est confiée, et que les soldats, au lieu d’être pris dans la lie de la population, et par suite portés souvent, lorsque l’appât du pillage les y pousse, à fraterniser avec les rebelles ou avec les Boxers — dont, aujourd’hui, le but principal, pour la plupart, n’est autre qu’une tentative dissimulée de brigandage, — soient eux-mêmes recrutés avec un soin tout particulier, au double point de vue des conditions physiques et morales.

La mesure prise par Tcheng-Tchi-Tong, dans le Ou-Tchang, qui impose aux mandarins de placer un de leurs enfans dans les nouvelles écoles militaires pour rehausser le prestige du métier des armes, et aussi celle qui consiste à exiger que tout engagé volontaire sache lire et écrire et sorte d’une famille honorable ne tarderont point vraisemblablement à être généralisées dans le reste de l’Empire chinois. Il en sera de même des mesures qui ont pour objet de rejeter de l’armée les joueurs et les fumeurs d’opium, ces dissolvans par excellence de la discipline dans les armées de l’Extrême-Orient, au même titre que les ivrognes dans les armées d’Europe ; et enfin des dispositions en vigueur dans quelques corps et dont le but est de chercher à fortifier l’éducation morale du soldat. Et, de fait, Yuan-Shi-Kaï, le vice-roi actuel du Pe-tchi-li, est entré déjà dans cette voie ; il ne veut pour son armée que des hommes de vingt à vingt-cinq ans, de haute taille, sachant lire et écrire les caractères, et dont les villages qui les fourniront, devront, selon le mode de recrutement oriental, garantir la moralité. Ce mode de recrutement est de nature à soulever le mécontentement des familles aisées, qui sont ainsi plus particulièrement mises à