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gouvernement de maintenir plus efficacement son autorité sur une population dépourvue de tout moyen de défense, le port et l’usage par d’autres que par des soldats, et la fabrication, en dehors des établissemens de l’État, de tout objet susceptible d’être employé comme arme de guerre, furent de tout temps prohibés sous peine de mort[1]. C’est ainsi qu’en Annam, où cette mesure était également en vigueur, les malheureux habitans des villages, au moment où se fonda notre établissement de l’Indo-Chine, ne disposaient, pour se défendre contre l’attaque des pirates ou contre celle des tigres, que de bambous dont l’extrémité avait été taillée en pointe et durcie au feu[2]. Ce désarmement systématique des populations fut ainsi l’un des puissans moyens de gouvernement des administrateurs chinois. Signalons que la prudence des mandarins en cette matière fut toujours excessive, à tel point que l’on est tenté de se demander si ce ne serait point pour obéir à une préoccupation de cette nature que la résolution aurait été suggérée, par ceux qui ont organisé le mouvement boxer, — avec la complicité sinon sous la direction des mandarins, — de faire rejeter, par les adeptes de cette secte, l’emploi de toute arme autre que l’arc, le sabre ou la lance, assurés qu’ils croyaient être de pouvoir, grâce à cette ruse géniale, réduire aisément ce mouvement populaire, le jour où il deviendrait un danger pour l’État. Cette assertion n’a rien d’invraisemblable : elle rentre assez dans l’ordre de« certaines conceptions, dénuées

  1. Des officiers français qui ont séjourné dans le Pe-tchi-li ont constaté néanmoins dans un assez grand nombre de maisons l’existence de fusils à mèche ; ces armes servent à la chasse et aussi à la protection des semences contre les oiseaux. Comme munitions, les habitans font usage d’une grenaille de fer de petite dimension, qui, dans ce pays, remplace le plomb. D’après les mandarins, l’existence de ces vieux fusils proviendrait d’une tolérance tacite, car, en principe, la possession comme le port de toute arme sont encore prohibés, au Pet-tchi-li comme partout ailleurs, en Chine.
  2. L’un des moyens fréquemment employés par les Annamites qui, dans un sentiment de basse vengeance, voulaient causer la perte d’une famille ennemie, consistait à aller glisser, nuitamment, une lance ou un fusil dans l’épaisseur de la toiture en paille ou dans un coin du jardin de l’habitation de leur victime ; une lettre anonyme dénonçait en même temps au mandarin le prétendu forfait en donnant des indications précises pour la découverte de l’arme. Aussitôt, une nuée de miliciens de s’abattre sur la maison du malheureux incriminé et, à la vue de la pièce du délit, de l’entraîner en prison, lui et les siens. Aussi, d’une manière générale, les indigènes qui, en raison de leur richesse, ou de leur situation, ou de leur manière de faire, craignaient de s’être attiré de profondes inimitiés parmi leurs concitoyens, faisaient-ils faire bonne garde autour de leurs maisons pour déjouer de pareilles tentatives.