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anciennes canonnières au lieu des cuirassés modernes[1]. »

Quant aux mandarins adversaires de toute réforme, par esprit de routine, ou bien, il faut le dire, découragés d’avance par l’énormité des dépenses que la Chine va se trouver dans l’obligation de s’imposer ; quant aux sectaires qui, aveuglés par leur esprit anti-militariste, au point d’en arriver à sacrifier à des doctrines chimériques ou criminelles l’existence même de leur pays, nient la nécessité pour la Chine de se constituer de solides, mais coûteuses armées, et réclament le désarmement universel, s’en remettant pour le règlement des difficultés qui pourraient surgir entre la Chine et les autres puissances, au respect de la justice et du droit international, l’empereur Kouang-Tsu ne leur ménage point l’expression du dédain qu’ils lui inspirent, dans le passage suivant de ce même Chuen-Hioh-Pien, « l’unique espoir de la Chine ».

« Les troupes, proclame-t-il, sont à un pays ce que la respiration est à un corps. Aucun homme n’a pu vivre sans respirer, aucun pays n’a pu exister sans armée. Et, aujourd’hui, il se trouve, en Chine, des gens très haut placés qui disent que l’Empire du Milieu devrait s’unir à la ligue pour le désarmement, parce que l’Empire se trouve dans une situation désespérée et que l’action de cette ligue garantirait la paix en Orient.

« Notre avis est qu’au lieu de procurer la paix à la Chine, son désarmement ne lui vaudrait que de nouvelles insultes des autres puissances. Combien ne devons-nous pas être sur nos gardes, maintenant que toutes les puissances parlent de désarmement ! Si nous maintenons notre armée, les petits peuples nous respecteront et les grands nous craindront.

« Beaucoup d’entre nous ont une confiance absolue dans les lois internationales, mais ils sont aussi stupides que ceux qui espèrent le désarmement ou la paix universelle ! Entre des pays également armés, les lois internationales servent à quelque chose ; mais que peuvent ces lois pour régler les différends d’un combat entre un peuple fort et un peuple faible[2] ? »

  1. Le grand parti de la réforme, représenté par la fameuse société, le Po-Wong-Woey, qui compte plusieurs millions d’adhérens et dont l’objet immédiat est le « Salut de l’Empire du Milieu, » préconise, dans son programme, en même temps que l’abolition des vieilles coutumes, l’ouverture des ports au commerce, etc., la construction ou l’achat, au moyen des capitaux formés par des versemens volontaires, d’une flotte de guerre, et l’armement du nombre suffisant d’hommes pour maintenir l’intégrité du territoire chinois.
  2. C’est ce même langage que tenait M. Thiers, au Corps législatif, dans la séance du 20 juin 1870 à l’occasion d’une proposition de réduction du contingent, de 10 000 hommes qui était demandée par un député :
    « On nous répète sans cesse : « Désarmez et l’on vous imitera… »
    « Parler de désarmement, c’est caresser une chimère. Je suis pour la paix. Mais, pour avoir la paix, il faut que nous soyons forts. »